Rentrée littéraire

Le palmarès 2011 des libraires : ascenseur pour l'émotion

Le palmarès 2011 des libraires : ascenseur pour l'émotion

La rentrée littéraire rend optimistes les 300 libraires interrogés par I+C pour Livres Hebdo sur leurs romans préférés. Une femme domine pour la première fois le classement français avec un livre très personnel.

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Par Clarisse Normand,
Créé le 04.06.2015 à 21h03 ,
Mis à jour le 05.06.2015 à 11h29

L'émotion d'abord ! Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan et Freedom de Jonathan Franzen, les romans français et étranger préférés des libraires, tels qu'ils apparaissent dans notre palmarès Livres Hebdo/I + C, retracent chacun avec une ambition très différente des histoires de famille complexes et douloureuses.

1er des romans français, Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan. Avec ce livre sur la folie d'une mère, l'auteure de No et moi, déjà plusieurs fois remarquée par les jurys et les lecteurs, semble s'acheminer vers un succès majeur. Appréciée des libraires, elle précède la surprenante Carole Martinez, David Foenkinos et Emmanuel Carrère.- Photo DELPHINE JOUANDEAU

En littérature française, c'est la première fois qu'une femme décroche la première place du palmarès. Notable, la performance n'est toutefois guère surprenante. Delphine de Vigan fait partie des auteurs auxquels les libraires sont très attachés. Ses deux précédents titres figuraient déjà dans notre palmarès : Les heures souterraines était classé 9e en 2009 et No et moi 15e en 2007, avant de se voir décerner le prix des Libraires en mars 2008. Emouvant, avec une forte dimension autobiographique, le nouveau roman de la compagne du journaliste François Busnel >a dès sa sortie été plébiscitée par les médias. Rien ne s'oppose à la nuit a reçu le prix Fnac du Roman et figure sur la plupart des sélections des prix littéraires.

CHOIX INATTENDU

1er des romans étrangers, Freedom de Jonathan Franzen. On l'annonçait, le voici. Freedom est l'événement de la rentrée étrangère, pour les libraires aussi. Pas de surprise, même si la concurrence était rude, avec les derniers romans de Haruki Murakami, David Vann et David Grossman.- Photo GREG MARTIN

C'est encore une femme, Carole Martinez, qui prend la deuxième place avec Du domaine des murmures. Ce choix est plus inattendu surtout compte tenu de son sujet, à savoir l'histoire d'une jeune femme au Moyen Age qui choisit d'être emmurée à vie pour échapper au mariage. En fait, l'ouvrage a été particulièrement apprécié par les librairies de premier niveau et surtout par les plus gros lecteurs qui confirment le talent de conteuse de l'auteure, déjà très remarquée pour son premier roman, Le coeur cousu, paru en 2007.

Sensibles aux nouvelles voix qui se font entendre, les libraires ont aussi retenu cette année deux premiers romans : l'un très médiatisé, L'art français de la guerre d'Alexis Jenni (n° 5), l'autre plus confidentiel, Eux sur la photo d'Hélène Gestern (n° 13). Comme Delphine de Vigan, cette dernière met en scène une femme à la recherche de la vérité sur sa mère décédée lorsqu'elle était très jeune, mais l'approche est tout autre puisqu'il s'agit ici d'une fiction épistolaire.

S'ils ont repéré quelques nouveaux talents, les libraires ont aussi choisi des titres très attendus, comme Limonov d'Emmanuel Carrère (n° 4) ou Le système Victoria d'Eric Reinhardt (n° 12), et surtout ils ont réaffirmé certains de leurs attachements littéraires. Sur leurs 20 livres préférés, une dizaine sont le fait d'écrivains déjà plébiscités dans nos précédents palmarès : David Foenkinos, dont La délicatesse avait déjà été très apprécié en 2009, mais aussi Metin Arditi, Véronique Ovaldé, Yasmina Khadra, Lyonel Trouillot... ou encore Antoine Choplin, repéré pour Le radeau, paru en 2003 à La Fosse aux ours. Dans cet ensemble assez éclectique, au sein duquel 14 maisons d'édition ont pu se placer, Gallimard se taille une place de choix avec trois des cinq premiers titres élus.

En littérature étrangère - domaine où les libraires aiment découvrir de nouveaux auteurs et de nouveaux territoires -, la tête de liste est particulièrement consensuelle. Parmi leurs quatre premiers choix, trois portent sur des ouvrages phares écrits par des auteurs confirmés : Freedom de Jonathan Franzen, 1Q84 d'Haruki Murakami et Une femme fuyant l'annonce de David Grossman. Avec une très nette avance sur le n° 2, Jonathan Franzen asseoit même sa cote d'amour avec les libraires, neuf ans après Les corrections, qui figurait déjà en première place de notre palmarès de 2002.

CURIOSITÉ

Pour autant, si leurs choix se sont prioritairement portés sur des valeurs sûres, les libraires ont comme chaque année fait preuve de curiosité. Sur leurs vingt titres préférés, ils ont ainsi retenu pas moins de six premiers romans. Particulièrement apprécié par les grands lecteurs, Accabadora de l'Italienne Michela Murgia arrive même au 5e rang, tandis que Famille modèle d'Eric Puchner suit en 10e position, devant Ils ont tous raison du réalisateur italien Paolo Sorrentino, Les dépossédés de Steve Sem-Sandberg, La question Finkler d'Howard Jacobson et Les bois de Sawgamet d'Alexi Zentner. En plus de ces découvertes, les libraires ont aussi apprécié quatre auteurs d'un second roman, à commencer par David Vann. Repéré l'an dernier pour Sukkwan Island, celui-ci s'impose au 3e rang avec Désolations. De même, Dinaw Mengestu, remarqué en 2007 pour Les belles choses que porte le ciel, se voit confirmé aux côtés de l'Anglo-Saxonne Emma Donoghue et de la Suédoise Maria Ernestam. A l'inverse, Paul Auster, qui fut un temps l'un des chouchous des libraires, n'apparaît qu'au 20e rang.

ILS ONT LU DAVANTAGE

S'ils semblent être cette année particulièrement en phase avec la presse, les libraires ne se sont pourtant pas laissé porter par elle. De fait, ils ont préparé la rentrée avec la même assiduité que d'habitude... voire un peu plus. Tandis que les libraires de premier et second niveaux ont maintenu leurs hauts scores de lecture de l'an dernier, avec des moyennes respectives de 23 et 13 livres, les responsables des grandes surfaces spécialisées ont dépassé la leur avec 20 livres en moyenne. D'où le large éventail d'auteurs cités : 147 chez les Français et 86 chez les étrangers. Reste désormais pour eux à transmettre leur enthousiasme à leurs clients.

LA SINCÉRITÉ DE DELPHINE DE VIGAN

 

Karina Hocine, directrice littéraire chez Jean-Claude Lattès, revient sur le succès de la romancière.

 

LH - Comment avez-vous découvert Delphine de Vigan ?

Karina Hocine - Par un auteur de la maison, Jean-Paul Carminati. Delphine cherchait un éditeur pour son premier roman. Grasset l'avait refusé alors qu'il avait édité en 2001 son récit autobiographique sur l'anorexie, Jours sans faim, signé Lou Delvig. Lorsque j'ai lu, puis vu Delphine, j'ai été conquise. Très vite, Lattès a publié Les jolis garçons, un recueil de nouvelles, puis son premier roman, Un soir de décembre. C'est autour de ce livre que s'est constitué le noyau dur de ses lecteurs.

Qu'est-ce qui explique, selon vous, son succès ?

Son talent... et sa sincérité, car elle écrit sur des moments importants de sa vie. En outre, il y a chez elle une empathie naturelle avec les gens. Ainsi No et moi, qui reflète ses questionnements sur les sans-abri à travers l'histoire de deux jeunes filles, est paru au moment où les lecteurs étaient à la recherche d'un roman transgénérationnel susceptible d'être lu à tout âge. Soutenu par les libraires, le titre a très vite décollé.

Etes-vous surprise par l'engouement très rapide que suscite Rien ne s'oppose à la nuit  ?

Oui et non ! Si j'ai tout de suite eu conscience de la puissance du texte et de sa capacité à toucher les lecteurs, je n'ai pas réalisé tout de suite l'étendue que pourrait avoir le phénomène. Pourtant, déjà dans notre maison, il avait emporté l'adhésion. Résultat, les sorties s'élèvent à 112 000 exemplaires pour un tirage de 150 000 !

Des lecteurs avides de conseils

"Je sens qu'il y a une très forte curiosité pour les nouveautés. Certains clients savent ce qu'ils veulent et achètent sans rien nous demander... Mais beaucoup attendent nos conseils et les suivent !" HÉLÈNE BOURDIN, LIBRAIRIE NOUVELLE, ASNIÈRES- Photo OLIVIER DION

Les libraires se montrent étonnamment plus confiants que l'année dernière sur les effets que devrait avoir la rentrée littéraire sur leur activité. Le regain d'optimisme est particulièrement sensible dans les librairies de second niveau où 83 % des responsables interrogés par Livres Hebdo/I + C considèrent que la rentrée est de nature à redynamiser la fréquentation de leur magasin, contre 46 % l'an passé. Dans les librairies de premier niveau et les grandes surfaces spécialisées, ils sont respectivement 89 % et 93 % (contre 88 % et 86 % en 2010) à penser que la rentrée aura une influence positive. Déjà, chacun témoigne de la mobilisation de ses clients et évoque leurs premiers achats.

Hélène Bourdin a deux premiers romans dans ses dix meilleures ventes (La Librairie nouvelle à Asnières)

"Nos clients montrent un réel intérêt pour cette rentrée... plus que les autres années je crois." JOËLLE LESAUVAGE, RYST, CHERBOURG- Photo LE MARAIS DU LIVRE

"Pour l'instant, nos clients sont davantage mobilisés par la rentrée scolaire que par la rentrée littéraire, dont les ventes sont légèrement inférieures à ce qu'elles étaient l'an dernier. Mais je sens qu'il y a une très forte curiosité pour les nouveautés. Certaines personnes savent ce qu'elles veulent et achètent sans rien nous demander... C'est surtout vrai pour les titres les plus en vue. Mais beaucoup attendent nos conseils et les suivent ! C'est ainsi que parmi nos dix meilleures ventes se trouvent deux premiers romans : Juste avant de Fanny Saintenoy et Léna de Virginie Deloffre."

Véronique Bruneau réitère l'opération "100 % passionné ou 100 % remboursé" (Cultura à Claye-sous-Bois)

"Les gens qui viennent chez nous attendent que nous leur parlions de nos coups de coeur." ELISABETH CHOMBARD, LE MARAIS DU LIVRE, HAZEBROUCK- Photo LE MARAIS DU LIVRE

"La rentrée littéraire arrive de plus en plus tôt sur nos tables, et les gens la regardent de plus en plus tard. En outre, cette année ils font particulièrement attention à leur porte-monnaie. Dans ce contexte, Cultura a réitéré l'opération "100 % passionné ou 100 % remboursé" qui porte sur une sélection de 21 titres et édité un catalogue pour présenter ces nouveautés. De toute évidence, ça marche, car nos clients regardent davantage ces titres et se laissent parfois convaincre. Sans regret a priori puisque l'an passé nous n'avons eu qu'un seul retour."

Joëlle Lesauvage pousse Room d'Emma Donoghue (librairie Ryst à Cherbourg)

"Nos clients montrent un réel intérêt pour cette rentrée. Plus que les autres années, je crois. C'est un peu comme s'ils avaient besoin de se faire du bien et se tournaient pour cela vers la littérature. Pour autant, les ventes sont hésitantes. Alors qu'elles avaient très bien débuté mi-août, elles ont depuis enregistré un net ralentissement. On sent que les gens font attention. D'ailleurs, ils nous demandent de plus en plus de valider leurs choix. Ce qui nous permet de pousser nos coups de coeur, dont Room d'Emma Donoghue, qui marche très bien, profitant peut-être de son appartenance à la collection "La cosmopolite" de Stock au sein de laquelle avait été édité l'an dernier Purge de Sofi Oksanen."

Delphine Valadon constate l'effet de plus en plus prescripteur de la radio (Gibert Joseph à Paris 6e)

"Les lecteurs répondent présents au rendez-vous de cette rentrée, que je trouve très belle, car il y en a pour tous les goûts. Dans ce contexte, ils se montrent aussi très friands de conseils, n'hésitant pas à multiplier les sources d'information. La radio se révèle ainsi de plus en plus prescriptrice... bien davantage que la télévision en tout cas. En magasin, on sent tout de suite l'impact de certaines émissions, notamment celles diffusées par France Inter, comme "Le masque et la plume". Mais les lecteurs qui s'intéressent à la rentrée sont aussi en attente de nos conseils. Ils ont envie qu'on les guide. Conscients du rôle que nous pouvons jouer pour des titres peu exposés, nous préparons pour début octobre une table dédiée aux "petites pépites" qui rassemblera les coups de coeur que nous avons eus parmi la production des petits et moyens éditeurs."

Elisabeth Chombart mise d'abord sur le conseil (Le Marais du livre à Hazebrouck)

"Les gens qui viennent chez nous attendent que nous leur parlions de nos coups de coeur. Beaucoup viennent dès la deuxième quinzaine d'août, pour regarder, sentir... mais bien souvent ils attendent nos avis avant de se décider éventuellement à acheter. Le phénomène est même de plus en plus marqué. Le conseil, c'est ce qui nous sauvera."


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