6 mars > récits Etats-Unis

Adrien Bosc compte déjà à son actif le lancement de deux revues, Feuilleton et Desports. Le voici qui se lance dans l’édition. Après un roman de Ben Marcus, L’alphabet de flammes, il propose Sinatra a un rhume. Une superbe anthologie des portraits et reportages du mythique Gay Talese. Une plume culte d’Esquire, du New Yorker et du New York Times dont Robert Laffont avait fait traduire en 1972 Ton père tu honoreras, et Julliard La femme du voisin en 1980, tous deux épuisés.

Toujours documenté et vivant, le précurseur du nouveau journalisme ouvre des portes. Et projette d’abord son lecteur à New York, "la ville des choses qu’on ne remarque jamais", où "le mouvement est de règle". Talese connaît comme sa poche sa vie nocturne, ses portiers, les gens qui vont au cinéma à huit heures du matin, "les chats sauvages, les bohèmes et les chats d’épicerie (ou de restaurant à temps partiel". Sans compter "le bruit ininterrompu de pneus de voitures roulant sur la chaussée en béton du Washington Bridge".

La pièce qui donne son titre au volume est un morceau de choix. Frank Sinatra se tient débout entre deux blondes dans un club privé de Beverly Hills. Il porte un costume trois pièces, affiche un air impénétrable. Le phénomène national, le champion, le patron est malade. "Sinatra enrhumé, c’est Picasso sans peinture ou Ferrari sans carburant - mais en pire", écrit Talese à propos d’un être totalement imprévisible qui a la faculté de pouvoir s’endormir n’importe où.

L’acteur et chanteur à la "voix précise, et en même temps pleine et fluide", on le suit avec une même proximité pendant l’enregistrement d’un show télévisé, au Sands de Las Vegas, ou sur le tournage du Hold-up du siècle où il a pour partenaire la divine Virna Lisi. Ne pas rater les pages sur Floyd Patterson. L’ancien champion du monde de boxe vit dans un isolement presque total depuis son deuxième K-O face à Sonny Liston dans le Nevada. Il a 29 ans, n’a jamais terminé un livre, aimerait bien rencontrer James Baldwin. Confesse être lâche, avoir au fond de lui une vraie faiblesse.

N’oublions pas un Joe DiMaggio de 51 ans, qui vieillit "avec cette élégance qui caractérise son jeu sur un terrain de baseball". Un DiMaggio inconsolable de la mort de Marilyn et désirant juste être "un homme qui essaye de préserver sa tranquillité". Ou encore Peter O’Toole, saisi entre Lawrence d’Arabie et Lord Jim, qui sirote un scotch dans un avion le ramenant vers son pays natal. Et clame : "C’est en Irlande que l’on voit les plus beaux culs du monde" ! Du grand journalisme. Du grand art. Un œil et une plume à découvrir sans plus tarder. Al. F.

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