Roman/Pays-Bas 20 mars Hagar Peeters

On oppose souvent la nature à la culture, comme si la première n'était que sauvagerie, et la seconde civilisation. La ligne de démarcation qui sépare les deux s'avère néanmoins ambiguë. Tous les génies ne se montrent hélas pas brillants ou courageux dans leur vie privée. Pablo Neruda peut être rajouté à cette liste, puisque le prix Nobel de littérature en 1971 a rejeté son unique descendante. L'histoire avait pourtant bien commencé. Alors qu'il est nommé jeune consul au Chili, l'écrivain épouse Maria Wagenaar, originaire des colonies néerlandaises. Tout leur sourit, si ce n'est qu'elle accouche d'une petite fille, fragilisée par une hydrocéphalie. Il n'existe que peu de photos de cette enfant brune, aux cheveux courts et au regard insistant. Le poète la nomme Malva. « Fleur sans prétention. Il m'a modelée à partir de menus pétales », dit la petit fille que met en scène Hagar Peeters dans son premier roman

« La mauve est une fleur. Conçue pour devenir très imposante. » L'héroïne incarne plutôt « une sorte de Cendrillon parmi les plantes ». Ici, la princesse en question s'adresse à nous en direct des cieux. « En ma qualité de morte, j'écris en ma qualité de fille privée d'amour paternel. » Incapable de parler ou de marcher, elle n'intéresse pas son père. D'autant que Neruda est happé par la guerre civile espagnole et les charmes d'une nouvelle compagne. Aussi abandonne-t-il sans scrupule sa femme et sa fille handicapée, qui s'éteint au Pays-Bas, à l'âge de 8 ans. La primo-romancière néerlandaise Hagar Peeters restitue la voix imaginaire de l'enfant en puisant dans sa langue de poète et ses propres relations complexes avec son père. Ironique et lucide, elle décrit un univers plein de métaphores liées à la faune ou à la flore.

Son petit coin de paradis est peuplé d'amis, partageant un sort semblable : le fils schizophrénique d'Einstein, la fille dépressive de Joyce ou le petit garçon trisomique de Miller. Une joyeuse colonie célébrant la vie, tout en dénonçant la société qui les exclut. Ce rejet favorise l'envie de dominer « Mère Nature », qui engendre ces êtres soi-disant défaillants. Originale, lapetite Malva s'adonne, sans vergogne, à« une corrida verbale ». Elle s'empare du stylo de son célèbre père pour dénoncer son passé révoltant. Elle imagine Socrate joint à elle en interpellant Neruda : « Si tu penses vraiment que tous les êtreshumains sont égaux en dignité, comment expliquer que tu aies banni ta fille et nié son existence ? »

Hagar Peeters
Malva - Traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Sandrine Maufroy et Philippe Noble
Actes Sud
Tirage: NC.
Prix: 22,50 euros ; 288 p.
ISBN: 9782330118501

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