Corse éclectique, Robert Colonna d’Istria est l’auteur de livres d’histoire, d’essais, d’enquêtes, et même d’un titre sur ses compatriotes. Il se peut, aussi, qu’il soit un adepte de l’Oulipo. En tout cas, son Testament du bonheur est un olni absolu et, vraisemblablement, le livre le plus farfelu de la saison. Voire de ces dernières années.
Colonna s’est amusé à écrire 52 critiques, censées être parues dans un hebdomadaire imaginaire, des "livres qu’il faut avoir lus dans sa vie, même s’ils n’ont jamais été publiés", de tous genres, de tous styles, et signés d’auteurs fort divers. Leur seul point commun : leurs noms tarabiscotés (comme Ottoline Rond-Barricas, Tristan-Odilon Orbarec ou Cristiano Lobtandorre, par exemple) sont tous des anagrammes du sien. On voit que l’auteur paye de sa personne. Il s’en explique d’ailleurs dans la première de ses chroniques, qui est en fait la critique de son propre livre ! Jolie mise en abyme à laquelle se livre l’écrivain facétieux, dont le propos, en définitive, est de "s’interroger sur la littérature en général" - la bonne, la mauvaise, la publiée, celle qui demeure inédite - et de la célébrer. Mais le plus fort se trouve à la fin, sous forme d’un bulletin de vote. L’é-lecteur est invité à choisir lequel, parmi ces 52 livres imaginaires, il aimerait lire pour de vrai. L’éditeur, le Rocher, s’engageant à le publier et à l’envoyer aux votants. Ce qui suppose, préalablement, que Robert Colonna d’Istria l’ait écrit…
Quel sera l’heureux élu-lu ? Ron-Aristote Binoclard, qui a repris, modifié et amplifié un modeste souvenir conté par Michel Déon dans Mes arches de Noé ? L’atlas de l’Europe oubliée, sous la direction de Rotro Ninitro de Balsac ? Ou encore ce guide des Meilleurs restaurants du monde qui rassemble, sous la plume de Don Isabel Torr-Catrion, des notices sur des restaurants qui n’existent pas ? "La matière des critiques compterait-elle moins que la manière ?" feint de s’interroger Colonna d’Istria à propos de son confrère, et l’on sent bien que c’est là le postulat même de son projet.
"Que penserait-on de chroniques sur des livres qui n’ont jamais été écrits ?" poursuit-il. Tout simplement que les siennes sont, excepté leurs titres bien plats - l’auteur n’est pas journaliste -, épatantes, et que la plupart, en effet, donnent envie de lire l’ouvrage présenté. Sauf Fond de frigo de Cristiano Lobtandorre qui se fait un peu étriller. En ce qui nous concerne, nous choisirions le numéro 27, L’appartement, de Ioannis Ract-Bertoldor, un jeu extrêmement subtil où tout tourne autour du livre. Une bien belle idée, comme celle du livre de Robert Colonna d’Istria, qui en fourmille ainsi que de nombreux clins d’œil et chausse-trapes.
Jean-Claude Perrier