Paul Harding est cet écrivain américain qui nous a tant éblouis avec Les foudroyés (Le Cherche Midi, 2010, repris en 10/18). Un premier roman qui avait traîné dans les maisons d’édition pendant dix ans avant d’être publié par une petite structure, de se vendre à 3 000 exemplaires et d’être finalement couronné par le prix Pulitzer. On retrouve toute la force de Harding dans l’admirable Enon, à nouveau traduit par Pierre Demarty dans la collection "Lot 49" de Claro et Hofmarcher au Cherche Midi.
Un an durant, on accompagne dans une bourgade de Nouvelle-Angleterre un certain Charlie Crosby. Lui et sa femme Susan se sont séparés après le décès de leur fille unique de 13 ans. Le premier samedi de septembre, Kate a été renversée par une voiture alors qu’elle revenait de la plage à bicyclette. L’adolescente a été enterrée dans le cimetière où repose le grand-père de Charlie, qui réparait des horloges, sa grand-mère et sa mère. Cimetière où il reposera un jour à son tour.
Le lendemain, Charlie a enfoncé son poing dans le mur au pied de l’escalier, se brisant huit os. Avalant des cachets antidouleur et buvant du whisky, le héros d’Harding se laisse dériver. Il marche dans les bois et les clairières secrètes d’Enon tout en s’adressant à Kate. Les émotions et les souvenirs remontent à mesure que le lecteur apprend à connaître un personnage attachant et dévasté. Un Charlie qui a vite arrêté ses études, gagnant sa vie en repeignant des maisons, tondant des pelouses, déblayant la neige dans les allées.
Notre homme revoit encore l’été si chaud où Susan était enceinte, le moment où elle a perdu son espèce de flottement dans le regard quand Kate est venue au monde… Magistral, aérien et poignant, Enon est sidérant de grâce et de tristesse. Al. F.