Le 17 mars, à l'âge de 69 ans, disparaissait Pierre Le-Tan. Avec lui, c'est sans doute, dans la discrétion élégante qui a toujours été la sienne, le plus doué des dessinateurs de sa génération qui prenait la tangente. Peut-être plus reconnu encore à l'étranger qu'en France, il était l'une des stars des illustrateurs du « New Yorker » et le centre d'art Reina Sofia à Madrid lui avait consacré voici quelques années une grande rétrospective. Il fut d'abord remarqué chez nous pour son travail avec son ami de toujours Patrick Modiano, dont il illustra longtemps les couvertures des livres en Folio et avec qui il « réalisa » deux livres, Memory Lane (Seuil, 1983) et Poupée blonde (P.O.L, 1983). Au fil de sa vie, des balades rêveuses qui la composèrent, il avait aussi publié quelques albums, tous plus beaux et d'une ironique et cultivée mélancolie les uns que les autres. Parmi ceux-ci, sa grande œuvre de « piéton de Paris », Paris de ma jeunesse, paru initialement chez Aubier en 1988.
Le livre tout aussi sublime que publient aujourd'hui en un hommage posthume mais dont il eut le temps de finir la conception, les éditions Stock, porte le même titre, mais n'a plus grand-chose à voir avec l'original, sinon l'esprit, largement révisé et augmenté.
C'est quelque chose comme une ultime promenade, tout autant dans la mémoire bien sûr, que dans un Paris largement disparu. Les ultimes lignes du livre, qui en disent tout le projet, serrent la gorge : « Je me dis parfois que j'aimerais me retrouver dans une chambre anonyme, quelque part, n'importe où, mais il dit tant de sottises. » En vis-à-vis, un dessin, la silhouette d'un homme seul à un carrefour désert.
C'est un univers qui s'efface ainsi sous nos yeux, comme une série de messages dans la nuit jusqu'au sommeil. Décorateurs oubliés, rois en exil, quartiers perdus, rues vides de voitures et de quiconque, night-clubs fermés depuis trop longtemps, cabarets russes, gigolos et américains trop sensibles, Yul Brinner joue de la guitare, Barbara Hutton épouse à tout va ; tout ici rappelle l'univers d'un Modiano (qui par ailleurs, signe la préface). Textes et dessins se répondent sans jamais se chevaucher vraiment. Pierre Le-Tan, fils d'un peintre de l'empereur déchu du Vietnam, était sans doute un génial dessinateur. C'est quand même dommage qu'il n'ait jamais vraiment compris combien il était aussi écrivain.
Paris de ma jeunesse - Préface de Patrick Modiano
Stock
Tirage: 3 600 ex.
Prix: 20 euros ; 160 p.
ISBN: 9782234088818