Structurellement complexe, le marché du beau livre reste « relativement stable », affirme Antoine Gründ, directeur des éditions du Patrimoine et, depuis fin mars, président du groupe Art et beaux livres du Syndicat national de l'édition (SNE). Peut-être plus que n'importe quel autre rayon, l'explosion du coût des matières premières - entraînant avec elle celui de la fabrication - complique cependant l'équation économique du beau livre.
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Recherche de nouveaux fournisseurs, relocalisation de la fabrication, réduction de la production, coéditions internationales ou encore quête de financements alternatifs sont autant de voies empruntées par les maisons pour s'adapter à leurs nouvelles contraintes, sans pour autant rogner sur la qualité. « Le beau livre étant un secteur difficile et fragile, nous avons l'habitude de nous adapter pour continuer à proposer des beaux objets de qualité », pointe Nicolas de Cointet, directeur du département beaux livres chez Albin Michel.
En cette période de fin d'année, les maisons rivalisent ainsi d'ingéniosité - tant sur le fond que dans la forme - pour proposer aux lecteurs et lectrices un moment « d'évasion face à l'actuelle atmosphère morose », comme le formule Geneviève Rudolf, directrice éditoriale de Citadelles & Mazenod.
D'expositions en catalogues
Parmi les locomotives du rayon : les catalogues d'exposition. Si la vie de ceux-ci est d'abord conditionnée à la temporalité d'un événement éphémère, les maisons tentent au mieux de « proposer des ouvrages de fonds susceptibles de survivre à la fin d'une exposition », pointe Antoine Gründ.
Gallimard accompagne les expositions Les mondes de Colette (coédité avec la BnF, jusqu'au 18 janvier), Philip Guston. L'ironie de l'histoire (musée Picasso, Paris, jusqu'au 1er mars) ainsi que Don Quichotte. Histoire de fou, histoire d'en rire (Mucem, Marseille, jusqu'au 29 mars) avec un beau livre « ludique conçu sous la forme des livres dont vous êtes le héros, en respectant les cinq parcours de l'exposition », indique la directrice éditoriale du pôle illustré Nathalie Bailleux.
Dans le catalogue des Éditions du Patrimoine cette année, cinq catalogues d'exposition : Trésors et secrets d'écriture, coédité avec la BnF (Cité internationale de la langue française/Château de Villers-Cotterêts, 5 novembre-1er mars 2026), Joyaux dynastiques. Pouvoir, prestige et passion, 1700-1950 (Hôtel de la Marine, Paris, 27 novembre-6 avril 2026), Le comte d'Artois, prince et mécène (Château de Maisons, Maisons-Laffitte, 14 novembre-2 mars 2026), L'enfermement au féminin à Cadillac (Château de Cadillac, Cadillac-sur-Garonne, 5 décembre-19 avril 2026) et Le triptyque du Maître de Moulins qui, à peine restauré, sera exposé au Louvre à partir du 26 novembre avant de rejoindre la cathédrale de Moulins.
El Viso sort le 10 octobre le catalogue de Trésors sauvés de Gaza. 5 000 ans d'histoire (Institut du monde arabe, Paris, jusqu'au 2 novembre). Norma documente L'art déco des régions (Musée d'art et d'archéologie, Valence, jusqu'au 11 janvier 2026) et donne à découvrir Odette Pauvert (1903-1966), première lauréate du Grand Prix de Rome en peinture en 1925 (La Piscine-Musée d'art et d'industrie André Diligent, Roubaix, jusqu'au 11 janvier). Les éditions 5 Continents présentent les œuvres de la figure majeure de l'art brut Laure Pigeon, infiniment bleu (Collection de l'art brut, Lausanne, jusqu'au 1er février 2026).
Flammarion retrace le parcours de Berthe Weill, galeriste de l'avant-garde parisienne (Musée de l'Orangerie, Paris, jusqu'au 26 janvier) dans le beau livre éponyme et dans la biographie Berthe Weill, marchande et mécène de l'art moderne (1865-1951) de Marianne Le Morvan. Suite à sa fermeture pour rénovation programmée pour fin octobre, le Centre Pompidou délocalise sa programmation culturelle et donne par exemple rendez-vous au Grand Palais pour son exposition Dessins sans limite (16 décembre-25 mars 2026). Le musée coédite aussi avec Beaux-arts éditions Kandinsky, la musique des couleurs (Philharmonie de Paris, jusqu'au 1er février). Citadelles & Mazenod et la Fondation Louis Vuitton exposent la carrière de Gerhard Richter (Fondation Louis Vuitton, Paris, jusqu'au 2 mars).
La belle littérature en cadeau
La Réunion des musées nationaux - Grand Palais raconte Le Moyen Âge du xixe siècle. Créations, copies et faux dans les arts précieux (Musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny, jusqu'au 11 janvier), les Faux et faussaires. Du Moyen Âge à nos jours (Archives nationales, Paris, jusqu'au 2 février), présente les clichés de la photographe Gabrielle Hébert, amour fou à la Villa Médicis (Musée d'Orsay, Paris, jusqu'au 15 février 2026) et donne à découvrir Bénin aller-retour : regards sur le Dahomey de 1930 (Musée Albert Kahn, Boulogne-Billancourt, jusqu'au 14 juin 2026). Faton s'intéresse au Grand Dauphin : fils de roi, père de roi, jamais roi ! (Château de Versailles, jusqu'au 15 février).
Le Muséum national d'histoire naturelle édite Momies. Mémoires révélées (Musée de l'homme, Paris, 19 novembre-25 mai 2026). Le phare Rembrandt propose une plongée dans l'univers du peintre au Musée des beaux-arts de Draguignan (15 novembre-14 mars), dont le catalogue sera disponible chez In Fine éditions d'art. Le Louvre retrace la Révolution et l'empire napoléonien à travers les tableaux de Jacques-Louis David (jusqu'au 26 janvier), dont le catalogue est édité par Hazan.
À la rencontre des artistes
Le 1er janvier dernier plusieurs artistes, comme Henri Matisse et Frida Kahlo, ont rejoint le domaine public, permettant ainsi une libre reproduction de leurs œuvres. Alors qu'une exposition consacrée au peintre français est programmée en 2026 au Grand Palais, plusieurs ouvrages lui sont ainsi dédiés dès cette fin d'année. Claudine Grammont et Ellen McBride proposent la monographie Matisse (Citadelles & Mazenod), Stéphane Guégan donne à voir un Matisse sans frontières (Gallimard) et Chêne édite Henri Matisse, les papiers découpés. De son côté, l'artiste mexicaine fait l'objet d'une biographie chez Flammarion (Frida Kahlo. À la vie, à la mort de Suzanne Barbezat) tandis que ses œuvres sont reproduites dans Frida Kahlo d'Inès Boittiaux (Hazan) et Frida Kahlo de Delphine Duchêne (Place des Victoires).
D'autres artistes sont à l'honneur dans les programmes d'art et de beaux livres. Florence Gentner raconte un Monet voyageur (Chêne). Geneviève Aitken montre comment le peintre utilise une réalité pour plusieurs tableaux dans Claude Monet. Série d'effets ou effets en série (Nouvelles éditions Scala). Guillaume Morel réunit une centaine de reproductions des œuvres de Monet (Place des Victoires). Marianne Mathieu présente Monet. Par-delà l'horizon (Hazan). Le scénographe, graphiste et peintre Claude Bessou, l'illusionniste se découvre sous le regard de sa fille Clara Bessou (Éditions de Juillet). Sophie Cuenot rend hommage à l'alpiniste, photographe, cinéaste Samivel (Guérin).
Alors que Danièle Pauly propose le troisième volume du catalogue raisonné des dessins réalisés par Le Corbusier (Archives d'architecture moderne), Guillemette Morel Journel retrace le parcours de l'architecte dans Le Corbusier (Les Arènes).
La plasticienne Eva Jospin illustre L'homme qui plantait des arbres de Jean Giono (Gallimard) tandis que Pierre Wat et Emmanuelle Brugerolles présentent ses dessins dans Eva Jospin (Beaux-Arts de Paris) et la RMN-Grand Palais programme la monographie Eva Jospin en amont d'une exposition prévue au Grand Palais en fin d'année. Figure majeure et anonyme de l'art urbain, Banksy fait l'objet d'un « portrait non autorisé » par Alessandra Mattanza (White Star). Chêne opte pour le catalogue raisonné Banksy. Tirages limités de Roberto Campolucci Bordi, et Pyramyd retourne « sur les traces des œuvres disparues » du Monde perdu de Banksy avec Will Ellsworth-Jones. Liliane Colas et Côme Remy livrent la biographie du sculpteur François Pompon dans une « œuvre complète » (Norma).
L'art dans tous ses états
Les catalogues s'attachent à explorer toutes les formes artistiques d'ici et d'ailleurs. La photographie est par exemple à l'honneur avec Flower Power, sous la direction de Beata Nowak (Textuel). L'histoire de l'Architecture s'apprend avec Barnabas Calder (Flammarion) tandis que Jane Hall met en lumière le travail de 250 femmes architectes d'intérieur dans Un espace à soi (Phaidon). Alternatives poursuit son travail de mise en valeur de l'art urbain avec Street art New York de Kimberly Kevorkian et Les sauvages. L'odyssée punk des pionniers du street art français d'Olivier Granoux.
Flammarion invite à découvrir L'art moderne des pays scandinaves de Serge Fauchereau. Nicholas Henri Zmelty plonge dans l'illustration Art nouveau avec Les maîtres de l'affiche (Citadelles & Mazenod). Pour les mélomanes, Thuy-Diep Nguyen et Agathe Poupeney présentent Opéra(s). Art total (EPA) tandis que Flammarion présente une « histoire globale de la musique » dans L'instrument-monde, publié à l'occasion de la transformation de la scénographie du Musée de la musique à la Philarmonie de Paris. La mode reste également présente dans les catalogues avec Défilés. Les 100 événements qui ont fait l'histoire de la mode d'Hélène Guillaume (Gründ) ou encore Jean-Paul Gaultier. Défilés de Laird Borrelli-Persson (La Martinière).
À tous les temps
Au-delà des arts, le beau livre se charge d'histoire. Camille Jouneaux retrace ainsi les mythes grecs d'Ulysse, Athéna et les autres (Chêne) à travers les toiles de Sandro Botticelli, Marc Chagall ou encore Artemisia Gentileschi. Sur l'autre rive de la mer Méditerranée, Pierre Tallet donne vie à La cuisine de l'Égypte ancienne (Actes Sud). Du Moyen Âge à nos jours, Laure Adler étudie les représentations des Vierges (Albin Michel) entre « histoires et tabous ». Claudio Pescio opte pour une approche de l'histoire de l'art de la Renaissance à nos jours sous le prisme des vices dans Paradis interdits (Citadelles & Mazenod).
Delphine Gardey retrace l'histoire des parlementaires noirs français de la Révolution à la départementalisation en 1946 dans Le corps noir de la République. De l'esclave au député (1789-1946) (Textuel). Daniel Quesney et Philippe Simon témoignent de l'évolution des Rues parisiennes (Alternatives) depuis le début du xxe siècle. Hilary Roberts retrace La guerre des images. 170 ans de photographies de propagande militaire (Gründ). Hugh Nini et Neal Treadwell continuent de donner une visibilité aux couples gays avec le deuxième volume d'Ils s'aiment. Un siècle de photographies d'hommes amoureux (1850-1950) (5 Continents).
Dans De Gaulle, la France et le monde (Gallimard), Alya Aglan et Julian Jackson rassemblent 150 caricatures du monde entier de Charles de Gaulle pour montrer la manière dont le premier président de la Ve République a été perçu au-delà des frontières hexagonales. Laurent Chollet et Armelle Leroy reviennent sur Nos Trente Glorieuses (1945-1975) (Albin Michel) et affirment : « C'était mieux avant... mais pas pour tout le monde ! » Deyan Sudjic rassemble « 250 objets vintage d'avant l'ère du numérique » dans Analogique (Le Seuil).
Nature et environnement
Le beau livre témoigne aussi de l'histoire de demain - notre présent. La Martinière documente La bascule du monde, sous la direction de Cartooning for peace et Emmanuelle Hascoët, à travers les « regards croisés de photographes et dessinateurs de presse ». Agnès Giard étudie Les amours artificiels au Japon (Albin Michel) entre « flirts virtuels et fiancées imaginaires ». Sous la direction de Nathalie Herschdorfer, Textuel présente les artistes de la Gen Z et leurs thèmes de prédilection. Deux ans après la sortie de Reines, l'art du drag à la française de la présentatrice de l'émission Drag Race France Nicky Doll, Hors Collection confie à Hugo Bardin (alias Paloma, première lauréate de l'émission) et Élodie Petit de montrer un aperçu de « l'art du drag dans le monde » dans Queens.
Alors que l'histoire environnementale émerge dans les programmes des essais et documents, Clémentine Girault, Violette Pouillard, Pierre Serna et Margaux Spruyt retracent Animaux & humains, une histoire partagée. De la préhistoire au xxie siècle (Textuel). La nature et l'environnement restent d'ailleurs une thématique ancrée dans le rayon et se déploient dans des titres comme Wild. Des dernières côtes sauvages à l'océan de Peter et Beverly Pickford (Paulsen) ou encore Chroniques littorales de José- Manuel Lamarque (Gründ).





