5 octobre > BD France > Jacques Tardi

Aubes blafardes, râles des mourants à la brune encadrent des journées sinistres sur lesquelles ne se lève jamais vraiment le soleil, sans cesse voilé par les fumées, les nuages teintés par les gaz asphyxiants, la pluie, les déluges d’acier, les projections de boue. Sur la ligne confuse du front, paysage dénaturé, fouillis inextricable de ferrailles et de restes humains en putréfaction d’où émergent de pauvres ruines, voici Augustin, brancardier désabusé errant et soliloquant, dans lequel on ne peut voir qu’un double de l’auteur.

Le dernier assaut, c’est celui qui conduit le poilu à la mort. C’est aussi pour Jacques Tardi une ultime saillie pour dénoncer la boucherie majuscule de la Grande Guerre qui hante son œuvre depuis quarante ans. Après qu’il a fait des traumatismes de la guerre de 1914-1918 la toile de fond d’Adieu Brindavoine ou de sa série des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, le dessinateur l’a saisie à bras-le-corps dans C’était la guerre des tranchées, puis dans Putain de guerre (avec Jean-Pierre Verney), tous chez Casterman. Il tourne la page avec un album magistral, crépusculaire et testamentaire, définitif.

Avec un autre "brancos", Augustin évacue un mourant lorsqu’ils sont pris sous un bombardement. Au côté d’Augustin, seul survit le mourant, qu’il doit achever pour que ses hurlements ne le fassent repérer. S’ensuit un double parcours du brancardier et de Tardi. Le premier arpente le champ de bataille au milieu des cadavres d’hommes et d’animaux décomposés, des rats, des vers, de la vermine, du no man’s land qui sépare les deux camps aux bases arrière, des tranchées boueuses aux postes de secours indigents. Le second explore le premier conflit mondial dans toutes ses dimensions politiques, économiques, sociales, sanitaires et militaires pour en tirer l’horrifique bilan. Défilent les victimes : les peuples colonisés, les "bantams", ces petits hommes qu’on a mobilisés et envoyés en première ligne lorsqu’on a manqué de bras, les animaux massivement sacrifiés. Apparaissent la sauvagerie des gradés, l’inadéquation des équipements, les brimades et les humiliations. A la fin, il ne reste plus rien.

Fabrice Piault

30.09 2016

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