A l’été 1942, Staline et Jdanov, son « ministre de la Culture », ont décidé de faire jouer par l’orchestre de la Radio de Leningrad, et diffuser largement, y compris par des haut-parleurs placés dans la ville martyre et sur le front, la Septième symphonie que venait d’achever Dmitri Chostakovitch. Le compositeur, lui, « exfiltré » à Kouïbychev avec sa famille par des autorités décidées à sauver l’un de leurs plus grands artistes, une espèce de trésor national, n’était pas présent lors de l’événement, mais, d’après Sarah Quigley, il aurait envoyé à Karl Ilitch Eliasberg dit Elias, le chef de la formation miraculée, la seule demeurée dans la ville, un télégramme d’encouragement et de confiance. Un événement, de la part d’un homme réputé froid, orgueilleux, méprisant les chefs et les musiciens, des artisans à ses yeux, alors que lui se considérait comme un génie.
Le malheureux Elias, qui admirait et vénérait Chostakovitch, a dû en être à la fois fier et bouleversé. Car, pour parvenir à donner ce concert de 70 minutes, symbole orchestré par le régime soviétique de la résistance héroïque de tout un peuple face à l’invasion ennemie, la Septième ayant été écrite par le musicien dans cette idée, semble-t-il, ce fut un véritable parcours du combattant. A partir de l’été 1941, en effet, après que l’Allemagne nazie eut dénoncé le pacte germano-soviétique et attaqué son ex-allié, l’ancienne Saint-Pétersbourg, ville brillante et cultivée, dont la scène musicale était particulièrement riche, a été soumise à d’intenses bombardements, à des raids aériens ravageurs, à un blocus terrible qui, allié à l’hiver, a causé pénurie, famine, morts par milliers. Elias et une partie de son orchestre, renforcé par d’honnêtes musiciens militaires, ont survécu, mais leur concert devait ressembler à une réunion de fantômes, hâves, décharnés, vacillants, à une pauvre armée des ombres, mais transcendée par la musique.
C’est cette fière histoire que Sarah Quigley, poète et critique d’art néo-zélandaise installée à Berlin, a choisi de romancer pour en faire sa Symphonie de Leningrad. L’épisode est authentique et bien connu, la plupart des personnages existant, dont le complexe Chostakovitch, bien sûr. Le reste est littérature. La romancière a opté pour l’hypothèse d’un musicien et d’une œuvre patriotes, alors que les positions politiques de Chostakovitch vis-à-vis de Staline et du régime soviétique, telles qu’il les a présentées lui-même dans ses Mémoires (parus posthumes, en 1979), font toujours débat chez les historiens. Son livre est aussi touffu que maîtrisé, et sa peinture du micromilieu musical de Leningrad, avant et pendant la guerre, absolument épatante. On s’y croit vraiment. J.-C. P.