6 mars > Roman Espagne

Voici un an et demi, dans son beau livre L’hiver des hommes (Julliard, repris chez J’ai lu), Lionel Duroy lançait son alter ego romanesque sur les traces d’Ana Mladic, la fille suicidée (à 23 ans) du tristement célèbre général Ratko Mladic, le bourreau de Srebrenica. C’est alors que l’on apprit qu’en Espagne un livre venait de paraître, traitant (quoique très différemment) du même sujet et recueillant un succès autant critique que public. Ce livre, magistral, La fille de l’Est, est enfin (fort bien) traduit. On avait découvert son auteur, Clara Usón avec la publication en 2012, chez Lattès, d’un déjà très intrigant Cœur de napalm. On la retrouve donc chez Gallimard cette fois-ci, pour ce qui est à la fois une fresque romanesque, historique et géopolitique en même temps qu’un requiem pour l’innocence fracassée. Elle reconstitue pas à pas l’itinéraire d’un fourvoiement, qui est à parts égales celui d’une jeune femme qui aimait trop son père et celui d’un peuple serbe, le sien, manipulé par des démiurges ivres d’eux-mêmes, et endeuillé du rêve yougoslave dissipé. Fierté de son père et de sa patrie, étudiante studieuse (en médecine), Ana Mladic, que l’on suit parmi les siens, amies, amants, familiers, de Moscou à Belgrade, épouse d’abord pleinement la cause serbe. Elle va progressivement voir se révéler le tableau lugubre des desseins des siens (en même temps que Clara Usón présente à ses lecteurs, sans didactisme aucun, chacun des protagonistes de cette histoire de fureur et de sang et restitue leur itinéraire personnel et politique). Elle ne pourra le supporter et n’envisagera d’autre geste qu’une mort volontaire, que ce soit par souci d’apaisement et de sacrifice ou dans l’espoir fou d’infléchir ainsi la trajectoire meurtrière de son père et de ses séides.

Au-delà de cette restitution, Clara Usón stupéfie par la précision et l’ambition de son projet romanesque. Rêves, pensées, dialogues, cris et chuchotements, rien ne lui échappe puisque tout est recréé sous l’égide du réel. C’est une jeune femme qui se meurt, une jeune femme qui est morte, et pourtant, à Belgrade comme à Sarajevo, à Srebrenica comme au Kosovo, c’est l’Europe qu’on assassine. Et ce roman réquisitoire en porte témoignage.

O. M

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