Edouard Dujardin, c’est une cliente qui m’en a parlé, j’avais vu la citation quelque part, et au téléphone elle le demande, comment?! vous ne connaissez pas!?, le commande, c’était il y a un an à peine, je lis maintenant, c’est un bijou de légèreté, vrai petit chef d’oeuvre. Le soir, ce doux soir, nuit d’automne, enfin une odeur de bois brûlé qui surgit invisible dans la rue, qu’elle est douce ; mais c’est le printemps pourtant ; que voulez-vous madame, les lauriers sont coupés ; je descends l’avenue de Clichy, détendu par ce petit soir qui retombe ; je crois que je suis hors du temps, je n’ai pas de musique tiens, pas de casque sur les oreilles aujourd’hui, quelques pages ont tourné devant mes yeux ; des petites feuilles de temps, de petites feuilles d’automne qui tombent, petites feuilles de printemps qui poussent ; mais où est l’hiver, il serait déjà derrière ? Non, il ne faut pas prendre froid, pas déjà, alors une petite veste chaude pour le soir ; je descends ; les lumières guirlandes qui glissent ; au loin ; elles accompagnent le chemin. Il faudra que j’écrive un petit texte sur ce petit texte, raconter Joyce et Valéry Larbaud, Rémy de Gourmont, Rachilde, leurs textes ; il est bien ce dossier, aussi, c’est vrai qu’il y a aussi les Moralités légendaires de Jules Laforgue, tout ça, le monologue intérieur, au XIXème, fondateur pour le XXème et bien après, leurs lettres, ils ont écrit à Edouard, Edouard Dujardin, pas “sur” lui, à lui, à son fils ; pourquoi pas après tout, 1887, qui y pense aujourd’hui, qui pense à ces quelques heures passées avec lui, il désire et s’apprête, toilette, sa façon de s’habiller, chemise, pour aller voir Léa, la douce Léa, jeune actrice, à la sortie du théâtre, ou bien plus tard chez elle. “ Ah cette jolie petite voix, cette frimousse, ce sourire, etc, etc.. .” il aurait pu dire cela sans doute, je ne sais, je cite de tête comme en passant, c’est cela, on passe en voix de tête, sans trop pousser, sans forcer trop haut, très terre à terre, les lumières du restaurant, le trot des voitures, son amante, est-ce qu’il la tiendra dans ces bras? virevoltant, volte-face, délicieux ce livre, délicieux cet homme. (...) Alors on peut rentrer le soir chez soi, chaque soir ouvrir un livre, celui d’Isabelle Zribi, où tous les soirs de sa vie elle se penche à sa fenêtre et regarde le jour qui décline, la nuit qui survient, “ à l’orée de l’aurore ”. Les soirs se succèdent au téléphone, au bar, et le rien s’impose. Elle rencontre C. à la bibliothèque. Elle marche dans le bois de la vie. Quelques incidents surviennent. “ Bien souvent depuis cette nuit-là, je me suis couchée sans pouvoir fermer l’oeil, ayant à l’esprit les images d’un lit cercueil et de la voisine insomniaque, images inexplicablement nouées. ” Les soirs se répètent et ne se ressemblent pas, elle mène le rythme, elle avance. Elle broie du noir et des idées fausses, elle s’égare et le noir l’enveloppe, jusqu’à ce que la robe de la nuit, C. multiple et une, un baiser d’argile, enfin. De répétitions en échos proustiens, de jours sombres en interrogations, les circonvolutions de son esprit cheminent vers une autre vie. “ Les portes de la nuit ne sont jamais fermées à clé ”. Certains soirs de notre vie, nous pouvons les vivre toute une matinée, leur sève coule au fil des jours, dans le printemps de nos coeurs. - Les lauriers sont coupés , Edouard Dujardin, Editions GF - Tous les soirs de ma vie , Isabelle Zribi, Editions Verticales - Tonight Tonight , Christophe (album Aimer ce que nous sommes )