Agrégé d'allemand, Dorian Astor est un spécialiste de Nietzsche, à qui il a notamment consacré une biographie (Folio) avant d'assurer la direction du Dictionnaire Nietzsche dans la collection Bouquins (2017) et la coprésentation du tome II des Œuvres dans La Pléiade (2019). Également auteur de Deviens ce que tu es (Autrement, 2016), le philosophe commentait, il y a quelques mois sur France Culture, l'un de ces autres célèbres aphorismes nietzschéens « ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou », au micro d'Adèle Van Reeth, la directrice de La relève. Cette collection des éditions de l'Observatoire se propose de donner la parole aux nouvelles voix de la philosophie et accueille naturellement cette Passion de l'incertitude, bref essai à 68 entrées.
« Je récuse l'excès de certitude, la certitude comme excès, sa prétention, son injustice envers toutes choses. L'incertitude est douloureuse, risquée, menacée par la démence et le chaos. Mais j'éprouve la nécessité et l'urgence de parler en sa faveur, de mettre un peu de poids de son côté de la balance, parce que j'ai le sentiment qu'elle étouffe sous la puissance coercitive des certitudes, qu'elle pâtit dangereusement de leur violence active », pose Dorian Astor à la fin de ce texte vivifiant et plastique, qui multiplie les points de vue, dans un perspectivisme revendiqué. Pour ce faire, il parcourt l'histoire de la philosophie (Socrate, Descartes, Pascal, Hegel...) jusqu'aux pensées les plus contemporaines (Deleuze, Whitehead, Latour, Stengers, Alizart...) tout en s'aventurant du côté de l'éthologie, de la botanique, de l'anthropologie, de la psychologie, de la médecine, de la chimie ou de l'informatique. Sans jamais s'exclure du jeu, comme lorsqu'il interroge sa propre « addiction » au désir d'avoir raison dans les discussions, le philosophe observe l'« étrange économie circulaire » dans laquelle sont prises certitude et incertitude, qu'il décrit comme appartenant au même régime passionnel, mues par les mêmes pulsions dominantes : la crainte et la soif de domination. C'est un plaidoyer certes mais riche de nuances, d'intuitions (le rôle du père dans l'incertitude existentielle) et, c'est bien le moins, de doute. Qui, prenant ses distances avec l'éloge « d'un scepticisme heureux, d'une méfiance joyeuse, une sorte de danse "en équilibre sur des possibilités légères" », ne fait pas l'impasse sur « la souffrance de l'incertitude ». Qui reprend au compte de la recherche philosophique ce qu'Astor admire chez les grands scientifiques, « les vrais sceptiques ». « Pourquoi tant de philosophes et de croyants sont-ils encore si prompts à vénérer l'absolu et à aboyer contre le "relativisme" ? Ne voient-ils pas qu'il y a plus d'amour de l'infini et de la vérité chez Einstein et Heisenberg que chez eux ? Que la relativité et l'incertitude sont précisément la contrainte de l'expérience sur notre volonté de vérité ? » À la résolution de ne plus jurer de rien, prise enfant après l'humiliation d'un pari, Dorian Astor s'est tenu. « Peut-être » - « ces dangereux peut-être » qu'évoquait Nietzsche dans Le gai savoir- reste le dernier mot, le plus certain, de cette aventureuse navigation.
La passion de l'incertitude
ÉDITIONS DE L’OBSERVATOIRE
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 16 € ; 160 pages
ISBN: 9791032906477