FIBD 2024

Le 51ᵉ Festival d’Angoulême en 8 temps forts

Le public sur le stand Casterman - Photo Olivier Dion

Le 51ᵉ Festival d’Angoulême en 8 temps forts

Alors que le Festival international de la bande dessinée (FIBD) s’est achevé dimanche 28 janvier, rassemblant d'après les premières estimations près de 200 000 visiteurs, Livres Hebdo a retenu huit moments forts de la 51ᵉ édition de la grande messe annuelle de la bande dessinée.

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Par Elodie Carreira, Antoine Masset, Léon Cattan , Pierre Georges
Créé le 28.01.2024 à 19h52 ,
Mis à jour le 31.01.2024 à 12h37

Une édition enthousiaste

*NB : les chiffres de fréquentation ne sont pas encore officiels.

Pour cette 51ᵉ édition du FIBD, les chiffres de fréquentation – environ 200 000 visiteurs d'après les premières estimations – retrouvent leur niveau d’avant-Covid. Du côté des éditeurs, les volumes de vente retombent légèrement mais témoignent toujours de la bonne santé du secteur. « Les chiffres sont un peu mitigés. Le jeudi a été très bien, le vendredi excellent, mais nous avons eu un recul assez marqué le samedi. En valeur, et sans les chiffres de dimanche, nous avons perdu environ 7 % par rapport à l’année dernière, mais nous restons à +15 % par rapport à 2019 », explique Stéphane Aznar, directeur général de Dargaud. Outre ses auteurs en dédicace, dont Joann Sfar, auteur de Les idolâtres, paru vendredi 26 janvier et écoulé à 300 titres durant l’événement, la maison a été récompensée des prix René Goscinny, meilleure scénariste et jeune scénariste, et du prix des libraires Canal BD 2024.

Pour Olivier Sulpice, patron des éditions Bamboo et Fluide Glacial, cette nouvelle édition s’est déroulée « dans une bonne ambiance ». S’il mentionne le beau temps, l’éditeur se réjouit aussi du « charme » de sa boutique éphémère, située près des bulles principales et qui a vu défiler une quarantaine d’auteurs venus rencontrer le public. Malgré une légère baisse d’achats d’impulsion, les maisons ont tout de même écoulé 1 400 titres cumulés, dont les albums de Jim pour la collection « Grand angle », les Rugbymen pour Bamboo et Léonarde pour Drakoo. Pour la collection Denoël Graphic du groupe Gallimard, la 51e édition est une double réussite. « La proclamation de Posy Simmonds au Grand Prix de la Ville d’Angoulême est le couronnement de 20 ans de travail. C’est elle qui a créé la collection avec Gemma Bovery », déclare Jean-Luc Fromental, directeur éditorial du label. « Grâce au boost du Grand Prix, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 12 000 euros. C’est très satisfaisant », poursuit-il. Malgré l’absence de la « queen », 120 titres ont été écoulés, tandis que Keko, prix Fauve polar SNCF, et Altarriba en ont écoulé respectivement 140 pour Contrition et 150 pour Le ciel dans la tête.

Grâce à une belle programmation constituée des expositions « Adolescents en guerre » et « Chambre avec vue », les titres de Dupuis, Madones et putains de Nine Antico, Le lierre et l’araignée de Carlé et Le combat d’Henry Fleming de Steve Cuzor, ont fait carton plein. Phénomène 2022, la série Madeleine, résistante a aussi figuré dans les meilleures ventes du de la maison. « Même s’il semblerait que les chiffres de fréquentation soient plus bas que l’année précédente, on a toujours eu du monde sur notre stand. On a aussi enregistré une hausse de +7 % par rapport à 2022 alors on est plutôt contents », a détaillé Claire Delville, responsable événementiel chez Dupuis.

La France, référence européenne de la BD ?

En marge du Marché international des droits (MID), une conférence intitulée « De l’attractivité française dans la gestion des droits monde d’auteurs internationaux » a réuni autour d’une même table trois auteurs espagnols, Antonio Altarriba (Le ciel dans la tête, Denoël Graphic), Keko (Contrition, Denoël Graphic) et Bea Lema (Des maux à dire, Sarbacane) ainsi que Jean-Luc Fromental, directeur éditorial de Denoël Graphic et Sylvain Coissard, négociateur des droits internationaux de la maison. L’objectif ? Tenter d’expliquer le phénomène d’importation de talents étrangers en France et leur volonté de confier l’intégralité de leurs droits aux éditeurs français.

« Lorsqu’ils publient en France, les auteurs étrangers bénéficient d’une visibilité plus importante que dans leur pays d’origine », a affirmé Sylvain Coissard. Pour Antonio Altarriba, la France a toujours été l’eldorado de la BD : « Le marché français de la BD réalise un chiffre d’affaires près de dix fois supérieur à celui du marché espagnol, pour un volume de publication similaire. » Même son de cloche du côté de Keko, qui constate qu’« en Espagne, c’est très difficile de vivre de la BD ». De son côté, Bea Lema a signé son premier album en 2022. Résidente de la Maison des auteurs d’Angoulême, elle y a rencontré un éditeur de Sarbacane. Depuis, les droits de son album ont été acquis par les marchés espagnols et italiens. « La France est devenue le leadership européen de la BD », a finalement résumé Jean-Luc Fromental.

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Le public nombreux dans les rues d'Angoulême
Le public nombreux dans les rues d'Angoulême- Photo OLIVIER DION

Pass Culture : le manga détrôné

Le manga a perdu sa couronne. Dévoilés par les représentantes du dispositif, Fanny Berlin et Jeanne Bélichard, les chiffres 2023-2024 du pass Culture ont traduit le recul de la bande dessinée, notamment du manga, détrônés par la littérature. Un résultat sans surprise, reflétant les tendances actuelles du marché, boosté par le young adult et la romance. Plus globalement, le dispositif affiche un bilan nettement positif. En 2023, 2,7 millions d’utilisateurs actifs ont été recensés. Le livre est devenu le premier produit consommé par les jeunes utilisateurs du pass, avant le cinéma ou la musique. Au total, 77 000 titres ont été vendus grâce à l’opération gouvernementale.

Mise en place en 2022, la part collective du pass Culture, qui permet aux acteurs et structures culturels d’intervenir en milieu scolaire, a concerné 10 000 établissements (soit 86 % des établissements français), et plus de 2,8 millions d’élèves. « Nous sommes devenus une source d’inspiration à l’international », a également déclaré Fanny Berlin, citant le KulturPass allemand, mis en place en juin dernier avec le soutien des professionnels français. Le Québec et la Mongolie devraient aussi se doter, à l’horizon 2025, du même dispositif.

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La BD recule mais résiste

Le marché de la bande dessinée ralentit, mais reste fort. Au total, 75 millions d’exemplaires ont été vendus pour un chiffre d’affaires estimé à 877 millions d’euros (–5 %), d’après l’institut GFK. En l’état, le secteur de la BD a connu une baisse de 11 % de son volume de ventes par rapport à 2022. « L’effet Astérix et Gaston a soutenu le secteur », a précisé Sandrine Vigroux, membre de l’institut GFK, depuis le Marché international des droits (MID). « Cette tendance s’est généralisée dans toute l’Europe, certains pays comme l’Espagne ayant connu une baisse à deux chiffres », a-t-elle poursuivi.

Un essoufflement à relativiser, après deux années historiques et un contexte inflationniste qui a contraint les éditeurs à pratiquer des prix à la hausse (+7 %). Individuellement, les titres ont connu un volume de ventes inférieur à l’année 2022 avec la désertion d’un million de lecteurs. Selon Sandrine Vigroux, « la BD reste tout de même le deuxième segment du marché puisqu’elle représente un livre sur quatre vendus en France. Avec près d’1,4 million d’exemplaires vendus par semaine, on reste sur des niveaux de ventes très forts. »

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Jean-Louis Gauthey(éditions Cornélius), Pascal Perrault (directeur général du CNL), Rachida Dati et Franck Bondoux (9emeArt+)
Jean-Louis Gauthey(éditions Cornélius), Pascal Perrault (directeur général du CNL), Rachida Dati et Franck Bondoux (9emeArt+)- Photo OLIVIER DION

Une visite de la ministre de la Culture 

De retour d’un déplacement en Inde où elle accompagnait le président de la République, la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, s'est rendue, samedi 27 janvier, dans les allées du FIBD. Elle y a longuement rencontré éditeurs et auteurs de bande dessinée, louant « la diversité du secteur ». « Je trouve que, quand vous prenez tous les secteurs de la culture, la bande dessinée est le secteur qui a évolué le plus rapidement, sur le fond mais aussi sur la forme. Ça devient maintenant quasiment des œuvres d'art », a-t-elle souligné.

Sur le dossier récurrent de la précarité des auteurs de BD, elle a renvoyé dos à dos éditeurs et organisations représentatives des auteurs, qui discutent de manière infructueuse. « Il n'y a pas d'unanimité, il n'y a pas de majorité qui se dégage. C'est-à-dire qu'il y a aussi un terrain d'entente entre eux à trouver. Ces discussions, on peut les avoir. Mais je n'ai pas aujourd'hui de position unanime ou majoritaire sur le sujet », a-t-elle expliqué.

Elle est également revenue sur la polémique autour du Printemps des poètes 2024 et de son parrain Sylvain Tesson, au lendemain de la démission de Sophie Naulleau, directrice artistique de la manifestation. « J’ai été étonnée que des poètes excluent d’autres poètes », a déclaré la ministre, déplorant le « sectarisme » des signataires d’une tribune refusant la nomination de Sylvain Tesson comme parrain de la manifestation. « C'est ce qui m'a d'ailleurs frappée. Je trouve que la culture, c'est le lieu où, normalement, il n'y a pas de sectarisme. C'est curieux, du sectarisme, chez des gens qui disent eux-mêmes qu'ils sont pour l'ouverture », a-t-elle ajouté.

Le patrimoine du manga mis à l’honneur 

Ce n’était pas arrivé depuis 2011 et la venue de Riyoko Ikeda. Cette année, le FIBD a fait de Moto Hagio son invitée d'honneur. Récemment rééditée chez Akata et Glénat, la papesse du shōjo a reçu un Fauve d’honneur. Les festivaliers ont également pu découvrir son univers à travers l’exposition Moto Hagio, Au-delà des genres, qui fait la part belle à toutes les spécificités du style de la mangaka. Une autre installation immersive, Dracula, immersion dans les ténèbres, a également accompagné la venue de Shin’ichi Sakamoto, qui n’a cessé de réinventer le mythe vampirique tout au long de sa carrière. Enfin, les nostalgiques de l’anime Albator n’ont pas été laissés sur le carreau grâce à la présence de son créateur, Rintarō. Autant d’invitations qui révèlent la volonté du festival de mettre en avant le passé du manga. 

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Conférence de presse Hagio
Moto Hagio au FIBD 2024- Photo LÉON CATTAN

Le sacre d’une pionnière 

Révélée au public français avec son album Gemma Bovery (Denoël Graphic, 2000) Posy Simmonds a reçu le Grand Prix de la ville d’Angoulême, mercredi 24 janvier, à l’occasion de l’inauguration du festival. Évinçant l’Américain Daniel Clowes et la Française Catherine Meurisse, la « lady » devient la cinquième femme à obtenir le prestigieux prix, à l’âge de 78 ans. L’ensemble de son œuvre est à retrouver actuellement dans une rétrospective à la bibliothèque du Centre Pompidou, à Paris. 

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Face au manga, le webtoon mise sur le gratuit 

Face aux gros tirages des mangas japonais, la bande dessinée sud-coréenne a choisi le modèle de la gratuité et d'attirer de jeunes auteurs français approchés lors du FIBD. La Corée du Sud, avec son format du webtoon, a eu une présence plus discrète dans les allées du FIBD. Mais pour la dirigeante de l'application Webtoon en Europe, Yeojung Kim, elle compte. « Angoulême, c'est l'endroit où les créateurs français et européens se rassemblent. La France est le pays où nous sommes venus approfondir notre relation avec les auteurs. Nous devons y être », dit-elle à l'AFP.

La Corée a sa propre tradition de bande dessinée, le « manhwa », qui a traversé une vaste crise dans les années 1990-2000. En 2004, le géant de l'internet sud-coréen Naver lançait la plateforme Webtoon, sur un modèle révolutionnaire : de la BD en ligne, produite dès l'origine sur des outils numériques, et gratuite. Sur l'application Webtoon, arrivée en France en 2019, les deux millions d'utilisateurs mensuels peuvent lire des bandes dessinées entières sans débourser un centime. À une condition : la patience. Car, à partir d'un certain nombre d'épisodes, la suite est bloquée pendant une semaine. Pour éviter d'attendre, il faut payer.

C'est cette impatience chez leurs lecteurs que cherchent à susciter les auteurs. Le paiement leur assure de bien meilleurs revenus. « La vente de chapitres nous permet de vraiment vivre de notre création », confirme Natacha Ratto, 29 ans, autrice de Sex, Drugs & RER, série publiée par Webtoon. « Il y a un contrat qui assure une base : tant d'euros pour tant d'épisodes. Mais les paiements forfaitaires, quand le lecteur paie, c'est un plus qui change beaucoup de choses », ajoute-t-elle. Elle a été repérée par Webtoon sur Instagram. Sans diplôme d'école ni contacts dans l'édition, elle a été séduite par l'approche sud-coréenne.

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