Si d’autres scandaleux de la République n’émergent pas du magma politique d’ici à la fin de l’été, le plaidoyer de Jérôme Cahuzac pour lui-même pourrait être la vedette de l’édition en non-fiction, à la rentrée prochaine. Reste à trouver l’éditeur : à la fin juin, l’ancien ministre du Budget n’avait pas encore sélectionné le mieux-disant susceptible de publier sa vérité sur son affaire de fraude fiscale. Après avoir confirmé ce projet dans un premier temps, Robert Laffont s’est dit ensuite « sur les rangs », sans plus. Cette prévisible agitation médiatique devrait profiter à Yann Galut, député PS du Cher, rapporteur d’un groupe de travail sur ces exploits, et auteur d’Evasion fiscale : un scandale d’Etat, chez Flammarion. Sur un sujet proche, l’éditeur annonce aussi Cache cash : enquête sur l’argent liquide qui circule en France des journalistes Mathieu Delahousse et Thierry Lévêque.
Que faire ?
Même en dehors de toute échéance électorale proche, la politique, ses personnalités, ses polémiques restent des valeurs sûres de l’édition d’essais et de documents, et a fortiori lorsque aucun autre thème ne s’impose avec la force de l’évidence. Si Lénine se demandait Que faire ? dans son célèbre traité politique de 1902, Jean-Luc Mélenchon considère la réponse acquise en 2013 et passe à la question suivante : Comment faire ?, avec solutions promises fin août chez Flammarion. Arnaud Montebourg est annoncé aussi chez Flammarion, éditeur décidément très actif sur ce terrain, avec un thème familier, mais une méthode qui l’est moins avec la personnalité du ministre du Redressement productif : Le retour de l’Etat : de l’art de nationaliser en douceur. Valérie Pécresse revient sur les blocages qu’elle a vécus au gouvernement pour interpeller la classe politico-administrative dans Voulez-vous vraiment sortir de la crise ? (Albin Michel), tandis que Rama Yade-Zimet, ex-secrétaire d’Etat chargée des Droits de l’homme, publie Mon journal secret, 2006-2010 (Le Moment). Edouard Balladur, ex-Premier ministre, publie son livre annuel chez son éditeur habituel (La tragédie du pouvoir, Fayard). Il pourra y croiser Jean-Pierre Chevènement, ex-ministre de la Défense, qui publie 1914-2014, d’une mondialisation l’autre. Sans ambition politique déclarée, Frédéric Mitterrand analyse légèrement ses trois années passées au ministère de la Culture où ce fut La récréation, selon le titre de son ouvrage à venir chez Robert Laffont. La candidate de l’UMP à la mairie de Paris, lors des élections municipales de mars prochain, s’attire sa première biographie : Nathalie Kosciusko-Morizet ou L’ambition parisienne (Olivier Faye, Gaspard Dhellemmes, Jacob-Duvernet). Avocat médiatique, député du Front national depuis juin 2012, Le vrai Gilbert Collard : mission casse-couilles démocratique pourra lire aussi son portrait chez Fayard par Frédéric-Joël Guilledoux et Laurent d’Ancona.Et le FN, grand bénéficiaire des désillusions post-électorales, suscite un essai de Michel Wieviorka (Le Front national, entre extrémisme, populisme et démocratie, Maison des sciences de l’homme) et une enquête historique chez Tallandier : Histoire du Front national (Dominique Albertini et David Doucet).
Exil
Cette déception politique suscite son lot de critiques, parmi lesquelles on peut signaler Je suis venu te dire que je me barre d’André Bercoff (Michalon), auquel fait écho Barrez-vous ! de Félix Marquardt (Fayard) à l’adresse des jeunes sur le marché du travail ; Augustin Landier et David Thesmar dénoncent 10 idées qui coulent la France (Flammarion), et Eric Verhaeguepointe Les 7 agonies françaises (Jacob-Duvernet). Répondez-nous !, ordonne l’économiste Pierre Larrouturou au gouvernement (Les Liens qui libèrent). Cofondateur de Priceminister, revendu au groupe japonais Rakuten, actif participant du vol de « pigeons » qui avait dénoncé la politique fiscale du gouvernement, Olivier Mathiot juge que La gauche a mal à son entreprise (Plon). Raphaël Liogier s’inquiète de l’avenir dans Le populisme qui vient (Textuel). François de Closets propose ses solutions de la dernière chance dans Maintenant ou jamais (Fayard). Plus radical et se situant déjà dans l’après-capitalisme, Eric Hazan, responsable de La Fabrique, publie chez lui Premières mesures révolutionnaires : après l’insurrection. Provocateur, Pierre Drachlineenvisage l’ultime solution dans Pour en finir avec l’espèce humaine et les Français en particulier (Le Cherche Midi).
En panne
Au-delà du terrain politique, les analyses de ce désenchantement s’étendent au champ social, qui prend des allures de champ de ruines. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot prolongent leur sillon préféré dans Casseurs de vies : enquête sur la violence des riches chez Zones, « l’espace de résistance éditoriale » de La Découverte, où les textes sont consultables librement en ligne, parallèlement à leur diffusion papier classique. Aymeric Patricot a descendu l’échelle sociale pour se plonger parmi Les petits Blancs : un voyage dans la France d’en bas (Plein jour). Le créateur d’entreprise Aziz Senni (coauteur : Jean-Marc Pitte) juge qu’elle n’est pas près de remonter dans L’ascenseur social est en panne… il y a du monde dans l’escalier (préfaces de Jean-Louis Borloo et Gilles Cahen-Salvador). Martin Hirsch, ancien haut-commissaire aux solidarités actives du gouvernement de François Fillon, à l’origine du RSA, démontre que Cela devient cher d’être pauvre (Stock), tandis que Jean-Christophe Sarrot veut En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté (L’Atelier). Jeanne, avec Farida Taher, livre un témoignage concret d’un quotidien de privations dans Cœur gros, ventre vide (Robert Laffont). Depuis l’Espagne, plus éprouvée que la France, l’écrivain Antonio Munoz Molina exprime son désarroi face à la perte de Tout ce que l’on croyait solide (Seuil). Pour l’auteure de L’horreur économique, Viviane Forrester, tout cela laissait présager La promesse du pire qu’elle n’a pas eu le temps d’achever avant sa mort, et que le Seuil publie néanmoins en l’état (une cinquantaine de pages). Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde diplomatique, cartographie une Géopolitique du désastre (Galilée). Il faut donc tout reprendre, plaide Dominique Méda dans La mystique de la croissance : plaidoyer pour un changement de civilisation (Flammarion). La catastrophe est si profonde qu’elle provoque des rapprochements inattendus : c’est chez l’éditeur assomptionniste Bayard que Maurice Bellet dit sa foi dans L’avenir du communisme. Pour Axel Kahn, il faut retrouver l’équilibre d’avant les années 1980 (L’homme, le libéralisme et le bien commun, Stock). Et depuis son expérience de l’affaire Clearstream et du marigot fiscalo-bancaire luxembourgeois, Denis Robert dispose d’une Vue imprenable sur la folie du monde, confiée aux Arènes.
Au vert
Greg Palast expose un exemple de cette folie dans Le pique-nique des vautours ou Comment j’ai vu le capitalisme détruire la planète, récit de la catastrophe pétrolière du golfe du Mexique, traduit chez Denoël. Timothy Mitchell relit toute l’histoire contemporaine à la lumière des torchères dans Carbon democracy : le pouvoir politique à l’ère du pétrole (La Découverte). Les préoccupations écologiques font partie des sujets intemporels de l’édition de documents. Albin Michel donne la parole aux climato-sceptiques dans L’innocence du carbone : l’effet de serre en question (François Gervais). La navigatrice Maud Fontenoy veut réconcilier l’écologie, souvent associée à la frugalité, avec la croissance dans Ras-le-bol des écolos : pour qu’écologie rime enfin avec économie ! (Plon). Sur un ton plus mesuré, c’est aussi ce que défendent Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet dans Le capital vert : de nouvelles sources de croissance (Odile Jacob). Et Al Gore, reconverti dans la défense de la planète depuis qu’il s’est fait voler la présidence des Etats-Unis par George Bush, en 2000, propose Mon logiciel pour un autre monde (La Martinière). Autre candidat à une élection présidentielle, française celle-ci, et sans dépasser le stade des primaires chez les Verts, Nicolas Hulot dresse le bilan de Mille vies en une chez Calmann-Lévy.
Allô maman bobo
Le même éditeur met aussi la santé publique à son programme de rentrée, avec Un fléau si rentable : vérités et mensonges sur l’huile de palme d’Emmanuelle Grundmann. Aspartame, avec ou sans ? intéresse Hervé Nordmann (Le Cherche Midi). Eric Jonckheere explique son combat symbolique de l’histoire économique et industrielle du XXe siècle dans Ma guerre contre l’amiante (La Boîte à Pandore). Véronique Vasseur et Clémence Thévenot résument tous les problèmes du système de soin français dans un titre catégorique : Santé, le grand fiasco (Flammarion). Sous la direction de Mikkel Borch-Jacobsen, les auteurs de Big pharma dénoncent les turpitudes des laboratoires pharmaceutiques, aux Arènes. Marion et Pauline Larat détaillent concrètement, pour les avoir vécus, les dangers des contraceptifs de 3e et de 4e génération, révélés au printemps dernier, dans La pilule est amère (Stock).
Les éditeurs spécialistes du récit de vie s’emparent d’une violence malheureusement récurrente, mais que les victimes parviennent maintenant à exposer publiquement, telle Anna Maria Scarfo (Sale fille : omertà sur un viol collectif, Presses de la Cité), Nicolas Henri (D’enfant victime à adulte abuseur, La Boîte à Pandore), Benoît Klam (L’école en bateau, Rocher), Claudine Rohr (Le cri et le silence, XO), Cécile Zec (Corps volé, L’Archipel). Au Diable vauvert voit aussi une dimension sociétale et politique dans cette violence, en rassemblant les analyses de treize femmes, sous la direction de Virginie Despentes et Beatriz Preciado dans French lover.
Mariage pour tous
Elu en mars dernier, le nouveau pape suscite encore quelques ouvrages : Pape François, Jorge Bergoglio : des villas miserias au Vatican, entretiens avec Gianni Valente (Bayard) ; François, le pape humble (Evangelina Himitian, Presses de la Renaissance) ; La citadelle divine : de Benoît XVI au pape François (Nicolas Diat, Albin Michel). Et les vaticanologues profitent de l’intérêt ressuscité pour leur spécialité. John Thavis ne laisse pas passer cette chance et signe deux livres chez J.-C. Gawsewitch : Les dessous du Vatican et Vatican diaries, tandis que Laffont a programmé dans sa collection « Bouquins » un Dictionnaire du Vatican, sous la direction de Christophe Dickès. Pour montrer toute la diversité de l’Eglise, l’éditeur Michel Lafon a déniché une nonne sexologue, Marie-Paul Ross, qui explique que Dieu nous a fait corps et âmes.
De quoi prévoir un bon plateau de télé avec Marcela Iacub, philosophe et conteuse récente de son aventure avec Dominique Strauss-Kahn, également chroniqueuse dans Libération, textes que Stock reprend dans un recueil intitulé : Jouir, obéir et autres activités vitales. Les échanges pourraient aussi être riches avec Raphaël Stainville et Vincent Trémolet, auteurs de la premières étude sur les anti-mariage pour tous : Ceux qui ont dit non : 2012-2013, enquête sur une année qui a changé la droite (Edition du Toucan). D’une façon apaisée, Jean-Luc Brunin, évêque du Havre, explique Les familles, l’Eglise et la société : la nouvelle donne. Là aussi, un dialogue pourra s’engager avec Claudio Rossi Marcelli, qui raconte l’adoption de jumelles, via procréation médicalement assistée, aux Etats-Unis, avec son compagnon (Hello daddy !, Slatkine), ou avec Jennifer Schwarz, qui élève deux enfants avec sa compagne (Toutes les familles heureuses se ressemblent, Presses de la Renaissance). Lorsqu’il est question de famille, Marcel Rufo rajoute bien sûr Mon grain de sel : propos sur l’éducation et la famille dans notre société (Bayard).
Retour à l’école
Le pédopsychiatre, chroniqueur sur France Inter, signe un autre livre, sur l’éducation cette fois : L’école aujourd’hui : où en sont nos enfants ? (Anne Carrière). L’incontournable sujet de rentrée génère la production de circonstance, dont les auteurs seront autant d’intervenants dans les débats qui accompagneront la mise en œuvre de la loi de refondation de l’école. Le ton semble plutôt au réformisme serein, même chez Martine Daoust, en dépit de ce que laisse supposer son titre : La réforme… oui mais sans rien changer ! : l’Education nationale en péril (Albin Michel) ; Gabriel Cohn-Bendit, fondateur du lycée expérimental de Saint-Nazaire, milite Pour une autre école : repenser l’éducation, vite ! (Autrement) ; à partir de son expérience et d’entretiens, Daniel Arnaud propose un Manuel de survie en milieu scolaire (Max Milo). Dominique Deconinck raconte Le bonheur à l’école : journal d’une instit’ (L’Iconoclaste). Philippe Meirieu, le spécialiste des sciences de l’éducation, publie Pédagogie, des lieux communs aux concepts clés (ESF). Et Antoine Prost, historien spécialiste de l’éducation, synthétise Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours (Seuil).
C’est la rentrée
Comme ce sera la rentrée, le retour au monde du travail justifie aussi quelques livres, dans lesquels il sera difficile de trouver du réconfort pour les nostalgiques des vacances : Le travail est-il encore supportable ?, se demandent Yves Clot et Michel Gollac (Armand Colin), à l’unisson du questionnement de Lars Svendsen (Le travail : gagner sa vie, à quel prix ?, Autrement). S’inspirant du droit à la paresse revendiqué par Paul Lafargue à la fin du XIXe siècle, Samuel Michalon, Baptiste Mylondo et Lilian Robin proclament : Non au temps plein subi : plaidoyer pour la reconnaissance d’un droit à l’inactivité. Pour s’occuper, une fois cette revendication satisfaite, ils pourront lire Pierre Cassou-Noguès qui explique La mélodie du tic-tac et autres bonnes raisons de perdre son temps (Flammarion). Un programme possible également pour les retraités, dont s’inquiète Danièle Laufer dans L’année du phénix (Les Liens qui libèrent). Alors que le débat sur les retraites va reprendre, Hakim El Karoui constate un rapport de forces paradoxal dans La lutte des âges : comment les inactifs ont pris le pouvoir (Flammarion). Et Jérôme Guedj alerte sur les conséquences du vieillissement dans Nous vieillirons bien tous ensemble (J.-C. Gawsewitch).
En vue des élections européennes de mai 2014, quelques premiers livres sont déjà annoncés, qui ne soutiendront pas forcément le taux de participation. Le plus polémique est Jean Robin dans Le livre noir de l’Union européenne : absence de démocratie, fiasco économique, principes juridiques malmenés, corruption, etc. (Tatamis). François Heisbourg juge qu’il faut suspendre l’euro pour mieux le refonder (La fin du rêve européen, Stock). Maxime Lefebvre se montre plus serein dans La construction de l’Europe et l’avenir des nations (Armand Colin).
Enfin, les thématiques et anniversaires de la rentrée sont rassemblés à la fin de la bibliographie : Albert Camus, les Kennedy, Edith Piaf, Marcel Proust (p.87). En raison de l’abondance de la production, les documents relatifs au centenaire de la Première Guerre mondiale (p. 88) sont rassemblés dans une pleine page. <