Il y eut bien un moment Eichmann, à Jérusalem, en 1961. Le moment de la prise de conscience du statut spécifique de la Shoah, distinct de la Seconde Guerre mondiale. C’est le sujet de cet ouvrage collectif dirigé par Annette Wieviorka et Sylvie Lindeperg. Les auteurs ne reviennent pas sur le procès, maintes fois commenté depuis Hannah Arendt, mais sur sa médiatisation, c’est-à-dire sur la signification qu’il a prise dans l’Histoire. Il y a ainsi un avant et un après-procès d’Adolf Eichmann.
Lors de l’enlèvement du criminel nazi en Argentine par le Mossad, la "solution finale" - on ne parle pas encore de Shoah - n’est traitée que par quelques pionniers. A la fin des années 1950, le grand public ignore l’essentiel du processus industriel de la destruction des Juifs d’Europe. Ces audiences vont le révéler au monde.
Le génocide n’est plus envisagé dans le cadre d’un tribunal militaire comme à Nuremberg mais dans celui d’une juridiction civile. Les chroniqueurs judiciaires, les écrivains, les philosophes, les cinéastes se saisissent de ce moment inouï où apparaissent les notions de "banalité du mal" et de "crime de bureau". La radio s’en empare également et l’enregistrement vidéo se transforme en série télévisée aux Etats-Unis.
Les témoins qui défilent à la barre deviennent des porteurs d’histoire, et la Shoah s’impose comme un événement majeur. Dans sa cage de verre, Eichmann est scruté comme le monstre ordinaire d’une monstruosité inconcevable. Alors que l’on commémore le procès de Nuremberg, cet excellent ouvrage qui propose des pistes nouvelles explique ce qui s’est joué derrière la figure d’Eichmann, le premier et seul condamné à mort de l’histoire de l’Etat hébreu. L. L.