A la fois « mangouste et cobra », Shanghai n’est pas seulement une ville, nous dit Philippe Rahmy au début de Béton armé, le beau récit préfacé par Jean-Christophe Rufin qu’il publie à la rentrée à La Table ronde. En y arrivant, invité en résidence par l’Association des écrivains de Shanghai, l’égyptologue et poète s’est trouvé face à un « tumulte, un infini de perspectives, d’angles et de surfaces amplifiant le vacarme », y a vu « un symbole incandescent de l’humanité ».
Prosateur subtil, Philippe Rahmy réussit d’entrée de jeu à projeter le lecteur à l’aide d’une sarbacane dans un lieu d’une absolue étrangeté. Lieu où tout, le décor, les gens, les mœurs, dépasse notre entendement occidental. Les visions et les impressions du voyage de l’auteur de Mouvement par la fin (Cheyne, 2005), voyage effectué, comme il l’écrit, « à la hauteur d’un enfant ou d’un mendiant », alternent avec des passages magnifiques sur son étonnante famille égypto-germano-suisse, et sur son enfance pour le moins singulière.
Le Suisse ne cache pas qu’il est né sans espoir de guérison. Qu’il est atteint de la « maladie des os de verre » et a passé son enfance dans un lit. Le voici qui emprunte le métro, zigzague sur les trottoirs. Sillonne une mégalopole aux milliers de sirènes, où rien n’est à la mesure de l’individu. Arpente des rues qui résonnent « de chocs et de cris ». Chemin faisant, Rahmy observe les magnolias et les pivoines, des Chinois pragmatiques et impudiques. Evoque la censure, partage un quotidien « d’étincelles et de noirceur ».
Sans pathos, Béton armé prend aux tripes, fait passer du rire aux larmes grâce à une acuité du regard, un sens de l’humour ravageur et la grâce d’une écriture, très littéraire, d’une vivacité inouïe. On l’a compris, il n’y a cet automne pas meilleure destination que Shanghai. Et pas meilleur guide que Philippe Rahmy. Al. F.