Deux femmes à deux extrémités de la vie : une grand-mère et sa petite-fille. La première perd la tête dans la chambre d’un hôpital d’une ville du Jura suisse. La deuxième, celle qui raconte, la visite tous les jours. Elle l’écoute et lui parle, la prend en photo quand elle dort, lui fait la lecture, la soutient pour faire quelques pas dehors. Parfois la conversation est difficile. "Grand-maman" a des absences, change brutalement de sujet, son esprit et ses souvenirs s’embrouillent. "Je ne sais pas quoi te répondre, je ris." La petite-fille lui confie son secret : elle est enceinte. Un événement plus inattendu qu’heureux. Dans ce temps suspendu entre la vie qui vient et celle qui s’en va s’échangent les images du passé. Pour la jeune femme, "micro-mécanicienne" dans l’horlogerie, c’est le récit d’un séjour linguistique à Londres, l’été précédent, au cours duquel elle a rencontré au bord de la mer un garçon employé dans un salon de thé, qui n’aura pas de nom, et Hillary, la prof d’anglais à longues jupes.
Ce sont encore les images surgissantes de cette grand-mère paternelle "infatigable, engluée désormais dans une marée blanche", de sa vie laborieuse dans la petite épicerie de La Chaux-de-Fonds qu’elle tenait avec son mari. De plus en plus "transparente, rabougrie", la vieille femme dont le corps flanche a la présence intermittente. Mais des éclairs de lucidité transpercent la sénilité et la confusion. "Tout ce que je veux, c’est ne pas devenir gaga", dit-elle à sa fille Valérie, l’aînée de ses cinq enfants, qui vient régulièrement la voir.
Fanny Wobmann, 32 ans, membre du collectif Ajar (Association de jeunes auteur-e-s romandes et romands) dont le premier roman, Vivre près des tilleuls, a été publié en août dernier chez Flammarion, écrit sans fard et sans mièvrerie ce dialogue en pointillé fait de complicité et de distance, pour entrer dans l’intimité de ce touchant duo. V. R.