avant-portrait > Elsa Osorio

Partout où elle va, Elsa Osorio emporte dans ses valises ses chaussures de tango. Au cas où se présenterait l’occasion… Ce qui arrive très souvent, car si Buenos Aires, où elle est née il y a soixante-cinq ans, reste "le paradis des milongas", la Porteña a pu constater qu’on dansait le tango partout. On lui dit que cette image la résume : Argentine, sans doute possible, et nomade. Elle en convient, elle qui, ces trente dernières années, a passé beaucoup de temps hors des frontières de son pays. Son français fluide témoigne de très nombreux séjours à Paris. Elle a aussi longtemps élu domicile à Madrid, avec ses trois enfants. Et elle se rend régulièrement en Uruguay, de l’autre côté du Río de la Plata…

Ses cinq livres traduits en français chez Métailié sont tous liés de près ou de loin à l’Argentine. Et Double fond, le dernier, replonge de façon directe dans son passé sombre. Mais Elsa Osorio est romancière, pas historienne : elle interroge la mémoire par le biais de la fiction. Plus de quinze ans après Luz dans lequel elle évoquait le sort des nouveau-nés volés sous la dictature militaire, première à envisager cette terrible histoire du point de vue de ces enfants "adoptés" par les tortionnaires de leurs parents, ce nouveau livre affronte une nouvelle fois les sauvages années 1970.

Bourreaux condamnés

La romancière suit les traces d’une militante détenue en 1976 avec son fils de 3 ans, à l’Esma, l’Ecole mécanique de la marine à Buenos Aires, l’un des plus funestes centres clandestins de torture, retrouvée noyée près de quarante ans plus tard à Saint-Nazaire, sous l’identité d’une médecin sans histoire. "Au départ, j’étais surtout obsédée par le "centre pilote", cette antenne de l’Esma basée à l’ambassade d’Argentine à Paris, qui avait pour mission, du moins au début, de contrecarrer ce qu’on appelait "la campagne anti-argentine" qui en France appelait au boycott de la Coupe du monde de football de 1978. Mais après m’être documentée, c’est ce personnage de Juana, alias Soledad alias Marie, et son choix de la clandestinité, qui est devenu central." Comme pour La Capitana (2012), portrait romancé d’une extraordinaire Argentine engagée dans les rangs anti-franquistes pendant la guerre d’Espagne, sur qui elle avait enquêté plusieurs années, Elsa Osorio a travaillé presque cinq ans sur cette fiction politique qui s’attache, sans juger, au dilemme d’une femme prête à tout pour sauver son enfant. Cette optimiste de nature se félicite des verdicts condamnant à perpétuité, en novembre dernier, certains des bourreaux de l’Esma que l’on croise dans son roman, mais observe aussi avec inquiétude des pas en arrière dans le processus de justice.

Où qu’elle soit, elle danse donc ce tango qu’elle voit comme une métaphore de son pays, l’abrazo du pays d’accueil, "l’étreinte de nos différences". Tango dont elle a fait l’un des personnages d’un roman, qui flirte avec la littérature fantastique, genre qu’elle a pratiqué à ses débuts. Ce qu’elle aime dans le bal milongero, c’est le plaisir sans parole "d’entrer en harmonie avec des gens que vous ne croiseriez pas ailleurs". "Si on pouvait appliquer cela à la vie", rêve-t-elle…

Véronique Rossignol

 

Double fond d’Elsa Osorio, Métailié, traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry. Prix : 21 euros, 397 p. Sortie le 18 janvier. ISBN : 979-10-226-0733-9

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