29 août > Roman France

Tu partiras en France dans deux ou trois mois, lui promettait-on. La France où s’était réfugiée sa mère, son père militant politique était, quant à lui, en prison. C’était l’Argentine d’avant l’élection de Raúl Alfonsín en 1983 - la dictature et une traque impitoyable contre quiconque s’opposait au régime. La petite Laura voyait l’exécution de la promesse de rejoindre sa mère perpétuellement ajournée. Entre-temps, la fillette de 8 ans prend des cours de français. Noémie, son professeur, lui apprend à lire des textes où tous les chiens s’appellent Médor, et tous les chats Minet. Ce qui la fascinait, c’étaient ces nouveaux sons : des r très humides, des nasalisations fort exotiques, et surtout des e muets. A 10 ans Laura quitte La Plata, enfin, pour la France.

Après Les passagers de l’« Anna C ». (Gallimard, 2012), où elle relatait l’apprentissage par ses parents de la révolution sous l’égide du « Che », Laura Alcoba poursuit une œuvre romanesque aux sources de son histoire personnelle. L’auteure d’origine argentine signe avec Le bleu des abeilles un livre où est encore plus prononcée la veine autobiographique, puisqu’il s’agit de souvenirs de son arrivée en France et de sa relation intime avec cet idiome d’adoption qui fera partie intégrante de son identité d’écrivaine. Au lieu d’être à Paris, c’est au Blanc-Mesnil qu’elle débarque. Laura habite cité de la Voie-Verte, une espèce de « quartier latin », peuplée de Portugais, d’Espagnols « et même des Français », « juste à côté de l’Afrique du Nord et du Sahel », la cité des Quinze-Arpents. De la correspondance avec son père emprisonné, dans laquelle elle commente La vie des abeilles de Maurice Maeterlinck, aux Fleurs bleues de Queneau qu’elle emprunte à la bibliothèque (à cause de la jolie succession des trois voyelles), c’est bien plus que la chronique de l’apprivoisement de la langue qu’écrit Laura Alcoba. Mille autres anecdotes sur l’immersion dans le système éducatif de la République dessinent en creux le portrait d’une France des étrangers et des immigrés pas tout à fait intégrés.

Sean J. Rose

Les dernières
actualités