Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1902, Emile et Alexandrine Zola, de retour de leur campagne de Médan, se couchent paisiblement dans la chambre de leur fort bourgeois appartement du 21 bis, rue de Bruxelles, dans le quartier de la Nouvelle-Athènes très en vogue à la fin du XIXe siècle. C'est que ce « rital », ce « Gorgonzola » dont on se moquait lorsqu'il était jeune, à Aix-en-Provence, orphelin déclassé, pauvre et boursier, fils de feu Francesco Zolla devenu François Zola après sa naturalisation, ingénieur au Canal du Midi, est devenu un écrivain illustre, très riche de surcroît. Sa femme, qu'il appelle Coco, d'origine plus que modeste, veille au grain et fait front contre tous les coups du sort : la double vie de son mari, qui a eu deux enfants illégitimes avec Jeanne Rozerot (elle autorisera, après la mort de l'écrivain, qu'ils portent son nom), et, surtout, cette affaire Dreyfus où Zola s'est montré impeccable, mais qui lui a valu la haine farouche de la moitié du pays. Royalistes, militaristes, catholiques intégristes, ligueurs d'extrême droite, unis dans un antisémitisme d'une violence inouïe, ont fait de l'auteur de « J'accuse... ! » leur bouc émissaire. De là à organiser un complot afin de l'assassiner, il n'y a qu'un pas.
Et c'est la thèse qu'a choisie Jean-Paul Delfino pour son roman, Assassins !, dont le titre même indique le postulat. Ainsi que, dès la mort de Zola connue (Alexandrine, elle, en a réchappé), l'hypothèse en a été émise, le Maître a succombé à une asphyxie au monoxyde de carbone, pour cause de cheminée bouchée. L'instigateur serait Edouard Drumont, le prophète de l'antisémitisme, l'auteur de La France juive (best-seller énorme paru en 1886 chez Flammarion), assisté de Maurice Barrès et de quelques autres, qui auraient enrôlé et soudoyé un certain Henri Buronfosse, fumiste et fanatique. C'est lui qui aurait obturé la cheminée. L'enquête, elle, a été bâclée. Le gouvernement de la IIIe République n'avait aucune envie de voir un nouveau scandale éclater. On fit à Zola de belles obsèques, point final.
Zola, lui, selon Delfino, qui raconte sa dernière nuit vécue par lui-même, où il revoit toute son existence en flash-back, avait tout compris. Cela nous vaut un roman brillant, érudit, qui excelle à faire revivre l'époque choisie (un dîner chez Lipp, par exemple, ou encore l'édition vue de chez Hachette où l'auteur de Germinal fut un temps employé), et globalement convaincant. Mais on ne saura sans doute jamais la vérité sur « l'affaire Zola ».
Assassins !
Héloïse d’Ormesson
Tirage: 6 000 EX.
Prix: 18 euros ; 280 P.
ISBN: 9782350875460