Déjà auteur d'un récit autobiographique remarqué (La barbe, paru au Seuil en 2015), Omar Benlaala récidive, avec ce livre polyphonique où l'on a tendance à se perdre parfois entre les trois narrateurs. Le père, Bouzid, né en 1939 en Kabylie, illettré mais fasciné par la langue française et convaincu que l'éducation est le seul moyen, pour ses enfants (quatre, en l'occurrence), de s'en sortir, et de monter dans ce fameux « ascenseur social » dont nos ténors politiques se gargarisent volontiers. Arrivé en France en 1963, courageux, travailleur, rebuté par aucune tâche, devenu maçon-boiseur qualifié, il fera venir sa femme en 1970, et refusera toujours de vivre en banlieue, dans un ghetto pour étrangers. « Il fallait que ses enfants se mélangent », écrit l'autre narrateur, Omar, devenu écrivain, sa fierté, même s'il a fait des « bêtises » qui l'ont même conduit un temps en prison. La famille habitera donc intra-muros « la plus belle ville du monde » (dixit Bouzid), même dans un quartier alors populaire et des conditions difficiles, non loin du Père-Lachaise. Le fils interviewe son père pour écrire son livre, et même sa mère, Oum El'Az, beaucoup moins loquace. Le troisième narrateur surprise, c'est Martin Nadaud (1815-1898), le maçon creusois devenu député d'extrême gauche. Trois autodidactes, deux immigrés déracinés qui ne sont plus de « là-bas » ni tout à fait « d'ici », symboles et porte-parole de tous les prolétaires, de tous les humbles qui ont contribué à bâtir la capitale d'un pays où ils ont fini par s'imposer, à la force de leurs bras.
Tu n’habiteras jamais Paris
Flammarion
Tirage: 3 800 ex.
Prix: 19 euros ; 202 p.
ISBN: 978-2-08-144595-6