En ce mois de juillet 1978, la famille Krasnansky vient de quitter l'Union soviétique de Brejnev. Originaires de Riga, en Lettonie, les Krasnansky passent par Vienne en espérant se rendre à Chicago. Il y a là les parents, Samuil et Emma Borisovna ; Karl, le fils aîné, marié à Rosa et père de deux garçons de 7 et 5 ans ; Alec, le cadet, âgé de 26 ans et marié avec Polina.
Chicago, les Krasnansky souhaitent s'y rendre car une cousine germaine originaire de Vilnius s'y est installée deux ans plus tôt. Bien vite, la piste américaine tombe à l'eau. Puisque Israël ne les tente pas, pourquoi ne pas aller au Canada? Avant cela, il leur faut faire une longue escale à Rome. La Ville éternelle va plutôt être pour eux la ville provisoire. Où ils sont d'abord logés à l'hôtel par une organisation communautaire juive. Le lecteur apprend peu à peu à mieux les connaître. Né en 1913, Samuil a un jour rattrapé "le chapeau de Molotov qui s'était envolé sous l'effet d'une bourrasque" et a été décoré de l'ordre de l'Etoile rouge et de l'ordre de la Guerre patriotique. Convaincu qu'un foyer ne doit avoir qu'une tête, il sait parfaitement avoir épousé une "créature simple".
Très séducteur et pragmatique, Alec n'est jamais insensible au charme féminin et se montre plein de ressources. Avec Polina, ils partagent bientôt à Rome un deux pièces avec un homme de Kichinev qui s'est rebaptisé Luigi... Remarqué avec Natasha et autres histoires (Christian Bourgois, 2005, repris en 10/18), épatant recueil de nouvelles, David Bezmozgis est lui aussi natif de Riga en Lettonie. Il vit à Toronto, où sa famille a émigré comme de nombreuses familles juives soviétiques. Publié et soutenu par le New Yorker, l'écrivain signe ici un premier roman parfaitement dosé. Bezmozgis a tout pour lui. De l'humour, un sens du récit et du portrait, une manière très habile de jouer avec les contrastes et de parler de l'exil.