Cinq mois après Idée, Martin de Halleux poursuit la réédition, très soigneuse, des formidables « romans sans parole » de Frans Masereel (1889-1972) avec son chef-d'œuvre, La ville, nouveau choc esthétique et narratif, initialement publié en 1925. Au rythme d'une par page, l'ouvrage enchaîne 100 fortes gravures, qui restituent en une « symphonie de blancs et de noirs », selon la formule du dessinateur Charles Berberian qui en signe la préface, le chaos de l'Urbs moderne. Le graveur sur bois né en Flandre, mais installé l'essentiel de sa vie en France, met en images « la ville âpre et profonde » dont son compatriote Emile Verhaeren (1855-1916), proche des anarchistes, avait entrepris l'évocation dans un recueil de poèmes, Les villes tentaculaires, qui l'a inspiré. Articulant plans larges et plans serrés, il en explore toutes les pores avec une précision et une puissance qui forcent l'admiration.

A l'origine, il y a la campagne. Une colline fleurie d'où un homme, de dos, contemple l'agrégat d'immeubles et d'usines fumantes qui forment la cité moderne. Un train y pénètre, dont on imagine le fracas, dans les volutes noires crachées par les locomotives. Une foule pressée s'agite de mouvements aussi décidés que contradictoires dans un entrechoquement d'immeubles et de véhicules. Il y a des accidents, des manifestations, des défilés militaires, des morts écrasés ou noyés, des fêtes, des incendies, des cortèges funéraires.

Il y a des gens aussi, entrevus par leurs fenêtres, chez eux, dans les bureaux, sur les chantiers. Des ouvriers, des secrétaires, des boursicoteurs, des handicapés, des malades, des ivrognes, des entraîneuses, des assassins, des amoureux, quelques enfants, un chat, que Frans Masereel saisit physiquement, en pleine action. Ils composent le véritable personnage principal de l'ouvrage, la ville elle-même. Pour en dresser le portrait, le graveur a commencé huit ans avant la publication à réaliser ses premières images. Beaucoup ont disparu. Dans une collection particulière, l'éditeur en a retrouvé dix, inédites jusqu'alors, qu'il a ajoutées à la présente réédition. Un plus.