Depuis Shéhérazade, on sait que la littérature peut sauver une vie. C’est aussi l’avis de Burhan Sönmez, qui parle d’expérience. Non seulement il l’a ressentie dans sa chair, mais il transpose cette conscience dans un roman à la prose puissante, qui plonge ses racines dans une enfance qui lui évoque "un paradis perdu".
L’éblouissement à Istanbul
Elle se déroule dans un petit village kurde, dans le désert d’Anatolie. "Notre langue étant interdite à l’école, j’ai appris à écrire en turc. Peu importe, il n’existe qu’un seul langage, la littérature." Inspiré par les contes de sa mère et les livres de son frère, Burhan veut devenir poète. Son prénom, issu du Coran, signifie "la vérité absolue". Un mantra qui oriente sa vie. A 17 ans, il entreprend des études de droit à Istanbul. Un choc, car cette cité l’éblouit. "Avec le Bosphore, la vieille ville, les minarets et les palais, elle ressemble à un conte." Un conte dévoré par l’ogre gouvernemental. Pas étonnant que Sönmez se soit spécialisé dans les droits de l’homme.
En mille morceaux
"J’ai toujours voulu agir pour l’avenir de mon pays, or la Turquie est emprisonnée. Sa politique a tout empoisonné. Seule protection contre la contamination : l’art, la culture et la littérature." Burhan a payé le prix de cet engagement. Attaqué violemment par la police turque, il a été brisé en mille morceaux. Une organisation de lutte contre la torture l’a sauvé, en le soignant à Londres. "Là-bas, je n’étais ni kurde, ni turc, juste un homme aidé par d’autres hommes. Les médecins m’ont aidé à me relever, mais les mots m’ont permis de vivre."
C’est sur son lit d’hôpital que l’avocat s’est mué en écrivain. Il a insufflé cette force à son roman Maudit soit l’espoir. Un huis clos étouffant ayant pour cadre les souterrains d’Istanbul. Enfermés dans une même cellule, quatre personnages subissent des tortures atroces. Lorsque "tout n’est qu’obscurité, où est l’humanité ?". Leur souffrance dépasse la raison, or, en dépit de la prison, "on vit avec l’espoir". Celui-ci s’incarne dans les histoires qu’ils se racontent avec passion. L’émotion amoureuse, le rire, la guerre ou la vie traversent ces êtres qui tentent de rester debout. Burhan Sönmez écrit : "Etre un écrivain turc implique une responsabilité quant à la protection de la dignité de ma plume. Les forces politiques essayent de l’acheter ou de la casser, à nous de résister. Telle est ma liberté."
Kerenn Elkaïm
Maudit soit l’espoir de Burhan Sönmez, Gallimard. Traduit du turc par Madeleine Zicavo. Prix : 20 €, 288 p. Sortie : 4 janvier. ISBN : 978-2-07-019747-7