3 JANVIER - ESSAI France

Charlotte Delbo en 1950.- Photo COLL. PART. DANY DELBO

On ne sort pas d'Auschwitz. Charlotte Delbo (1913-1985) a vécu avec. Elle y a puisé une force de survie, des convictions solides, des attitudes inaltérables et le sentiment que la solidarité pouvait aider à supporter l'insupportable. Violaine Gelly et Paul Gradvohl nous expliquent tout cela et bien plus encore dans cette biographie qui déroule l'existence de cette jeune sténodactylo qui devint secrétaire de Louis Jouvet avant de vivre ce passage dans l'enfer des hommes.

A l'occasion du centenaire de sa naissance qui figure au programme des commémorations nationales de 2013 (www.charlottedelbo.org), les auteurs reviennent sur sa vie : son adhésion aux Jeunesses communistes où elle rencontre son époux Georges Dudach, son engagement dans la Résistance, sa déportation à Auschwitz avec Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier, puis à Ravensbrück, et son rapatriement en France en avril 1945. C'est sur cette expérience terrible que s'est construite son oeuvre poétique et théâtrale où le témoignage s'arc-boute avec justesse sur la littérature.

De Charlotte Delbo, on retient la dignité du Convoi du 24 janvier (Minuit, 1965) ou la trilogie Auschwitz et après... (Minuit, 1970-1971), où elle écrit pour "porter à la connaissance" et donc porter par le verbe. Puis ce furent ses dénonciations de la guerre d'Algérie, de l'Espagne franquiste, de la Grèce des colonels, des goulags staliniens, de tout ce qui contraint, emprisonne, torture et condamne à mort.

L'historien, spécialiste de l'Europe centrale contemporaine, et la journaliste, rédactrice en chef à Psychologies magazine, nous montrent aussi la façon dont avancent leurs investigations. Ils s'interrogent sur les "trous noirs" de cette existence, les fantômes, les éléments imprécis, le problème de concordance des temps, tout ce qui fait qu'une vie reste aussi un mystère pour le biographe.

Le grand mérite de Paul Gradvohl et de Violaine Gelly est de donner envie de lire ou de relire Charlotte Delbo. Leur travail est d'ailleurs balisé par des extraits de textes où l'on saisit toutes les nuances de cette voix déchirante. "Nous étions surprises par moments de ne pas nous étonner davantage. Nous ne demandions pas pourquoi parce que, depuis des années, nous avions perdu l'habitude de nous demander pourquoi."

Violaine Gelly et Paul Gradvohl osent, eux, un pourquoi : pourquoi cette femme, au regard de la force de ses récits et de ses témoignages, a-t-elle été oubliée et demeure moins connue que Primo Levi, Robert Antelme ou Jorge Semprun ? Peut-être parce qu'elle fut "à contre-temps de la mémoire" et parce c'est une femme, justement !

"Charlotte qui ?" ont entendu dire les deux biographes au cours de leur enquête. Désormais on ne devrait plus leur poser la question...
 


 

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