3 NOVEMBRE - HISTOIRE Etats-Unis

Lorsque nous confions notre argent à une banque, lorsque nous payons nos impôts, lorsque nous travaillons, nous sommes obligés de faire confiance ; et le plus souvent à des inconnus. Avec l'emballement des marchés, l'augmentation de la dette publique et les licenciements sous couvert de délocalisation, cette confiance a disparu.

Tony Judt- Photo DR

Comment la restaurer ? Tony Judt (1948-2010) était historien, pas politicien. C'est donc en prenant appui sur la connaissance d'un passé que nous aurions tort d'oublier qu'il met en évidence ce constat et ces frustrations. Depuis les années 1980, les dérives du libéralisme et de l'économie toute puissante nous ont conduits vers un vide moral qui, pour lui, n'est plus supportable.

A la différence de nombre d'essais sur la crise, la grande force de Judt est de s'appuyer sur l'Histoire, en donnant des exemples très précis, sur les années 1920, sur la guerre froide, sur l'après-1989 marqué par la chute du mur de Berlin et du communisme. "Tout se passe aujourd'hui comme si le XXe siècle n'avait pas existé."

Ce Britannique, qui vivait et enseignait à New York où il a fondé et dirigé l'institut Erich Maria Remarque, était connu pour son franc-parler, sa plume incisive et sa fine connaissance des milieux intellectuels français, dont il ne disait pas que du bien. Sa formidable fresque de l'Europe depuis 1945, titrée Après-guerre (Armand Colin, 2007), avait été désignée comme l'un des meilleurs livres de l'année par la The New York Review of Books.

Dans ce livre-testament d'un Européen convaincu, Tony Judt considère que le rétablissement d'une société de confiance ne peut que passer par un retour à la social-démocratie. Cela implique aussi de repenser l'Etat autrement que comme un frein à la liberté. Car que faire de la liberté sans fraternité ni égalité ?

Rien ne nous dit que la mondialisation sous sa forme actuelle soit appelée à durer, d'autant que le marché montre, au fil du temps, qu'il est son pire ennemi. "Nous devrions savoir, désormais, que la politique demeure nationale, même si ce n'est pas le cas des économies."

Avec son regard affûté sur le monde d'hier, Judt montre en quoi l'Histoire est susceptible de nous éclairer sur ce que nous pouvons faire de notre présent. Mais sans nostalgie. Savoir d'où l'on vient ne donne pas forcément envie d'y retourner. "Dans notre vie tant politique qu'économique, nous sommes devenus des consommateurs." On finit par ne plus s'intéresser qu'au prix en négligeant la valeur. Il serait donc urgent pour Judt de redevenir des citoyens.

Cet essai sincère, nerveux et salutaire écrit pour la jeune génération ne mâche pas ses mots. L'historien sait que les temps ont changé. « Politiquement parlant, nous vivons dans une époque de Pygmées." Et, selon lui, nous devons pour l'instant faire avec ces nains qui ne sont même plus juchés sur les épaules des géants...

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