L’Academic Book Week a publié, le 1ermars 2019, en coopération avec l’Index of Censorship, la liste des vingt ouvrages « académiques » interdits qui ont eu le plus d’influence.
Il s’agit là d‘une vision anglo-saxonne du monde des idées et de la création, mais dont émergent des livres universels, au premier rang desquels L'Origine des espèces de Charles Darwin.
Au registre des grands chambardements des mentalités, des grands ébranlements de la perception que nous avons de nous-mêmes, l’épopée darwinienne mérite de figurer en bonne place aux côtés des découvertes d’un Copernic ou d’un Galilée.
Rappelons que la publication en 1859, à Londres, de L’Origine des espèces, dont le tirage de 1250 exemplaires s’écoule dès le jour de sa parution – il est immédiatement réimprimé –, suscite autant l’engouement du public que les controverses intellectuelles et religieuses.
Encensé par une partie de la communauté scientifique occidentale, l’ouvrage est également honni, raillé, caricaturé. La théorie de l’évolution par la sélection naturelle ne passe pas. Bien que le savant n’aborde nullement dans son livre la question des origines de l’homme, un amalgame complaisamment entretenu avec les travaux du prédécesseur de Darwin, le naturaliste français Lamarck, ne tarde pas à s’instaurer dans le public. Lequel éprouve le plus grand mal à se faire à l’idée d’avoir un singe pour ancêtre – ce qui résulte d’une seconde confusion, Lamarck n’ayant jamais soutenu pareille hypothèse. Quoi qu’il en soit, cette méprise originelle aura la vie dure, attestée par l’exceptionnelle postérité des caricatures représentant le visage barbu de Darwin sur un corps de singe.
C’est ainsi que L’Origine des espèces est prohibé dès 1859 par la bibliothèque du Trinity College de Cambridge, celle où Darwin a étudié… Et que les interdictions vont viser l’ouvrage, au début du XXème siècle, en Grèce, dans le Tennessee, en Yougoslavie, etc.
La religion s'en mêle
Les créationnistes américains et des sociétés ultraconservatrices européennes – qui essaiment depuis quelques années un peu partout sur la planète – tentent d’imposer la théorie du dessein intelligent, déjà en vogue à l’époque de Darwin chez les théologiens anglicans qui ont déclaré hérétiques les thèses de ce dernier, et selon laquelle « certaines observations de l’univers et du monde vivant seraient mieux expliquées par une cause intelligente que par des processus aléatoires tels que la sélection naturelle ».
Mais la vraie censure de Darwin a récemment repris vigueur en Turquie. En 2009, à l’occasion du 200eanniversaire de la naissance du savant, Tübitak, la revue du Conseil de recherche scientifique et technique de Turquie, est sur le point de consacrer un dossier de quinze pages au naturaliste. À sa place, les lecteurs découvrent un article sur le dérèglement climatique ! L’action cumulée du gouvernement religieux et de groupes de pressions islamistes engagés depuis longtemps dans une offensive anti-darwinienne ont marqué un point contre la communauté scientifique turque… et plus largement contre la raison scientifique universelle.
De Giordano Bruno - qui fut certes brûlé, mais dont les œuvres ont pu être sauvées - à Galilée, l’interdit a ainsi frappé et frappe encore les avancées scientifiques, reléguées au même rang que les charlataneries et autres sorcelleries. Gageons que, souvent, la justesse d’une théorie scientifique se mesure au luxe de précautions dont les inquisiteurs ont entouré les ouvrages les plus contraires à l’ordre public et scientifique établi.