Le Grand Siècle ne fut pas seulement celui des fastes de Versailles, mais aussi le siècle des élans mystiques. Armand Jean le Bouthillier de Rancé en savait quelque chose, lui dont sa Relation de la mort de quelques religieux de l'abbaye de la Trappe fut l'un des "best-sellers" de son temps. Filleul de Richelieu, ancien abbé de cour, amateur de chasse et de mondanités, Rancé se retire du monde à 37 ans, en 1664, pour s'enfermer dans l'une de ses possessions, l'abbaye de la Trappe. Fondée au XIIe siècle, La Trappe (dans le Perche), partait en capilotade. Rancé va en faire un modèle d'observance monastique la plus stricte. Et, profondément marqué de ne pas avoir pu assister aux derniers instants de sa grande amie (et probablement maîtresse), la duchesse de Montbazon, il va y développer une obsession pour "le bien mourir". On meurt tellement bien, à La Trappe, qu'on y trépasse souvent à moins de 40 ans. Les moines se sont enfermés dans l'abbaye pour y mourir au monde. Mais c'est à croire qu'ils n'ont rien de plus pressé, ensuite, que de mourir tout court, si possible au prix d'interminables souffrances - qui sont "les marques précieuses de la miséricorde divine » -, dont Rancé nous narre le détail d'une plume clinique.
La Relation, qui paraît pour la première fois en 1678, remporte un succès immédiat. Il y en aura quatre éditions, chaque fois augmentées, du vivant de Rancé, sans compter les tirés à part. L'ouvrage vaudra à son auteur une célébrité, qui inspirera à Chateaubriand sa Vie de Rancé. Une nouvelle édition de morceaux choisis de la Relation, rebaptisée Vie et mort des moines de La Trappe présentée par Jean-Maurice de Montremy, nous permet de revisiter cette institution. En l'occurrence, plutôt les Plombs de Venise, cette prison atroce qui existait à l'époque, qu'une quelconque antichambre du paradis. A supposer qu'on ait la foi, peut-on vraiment croire que Dieu ait pu créer la vie pour nous imposer d'y renoncer à ce point ? Etant athée, on lit ce texte, qui tient aujourd'hui du document historique, avec effarement. La Trappe existe toujours. Les bâtiments n'ont plus rien à voir avec ceux que connut Rancé. La vie des moines non plus.