13 OCTOBRE - HISTOIRE France

Georges Vigarello, Alain Corbin et Jean-Jacques Courtine - Photo DR/SEUIL

Point n'est besoin d'avoir fait des études d'anthropologie très poussées pour constater que l'image de la gent masculine a connu en moins d'un siècle quelques transformations. Il suffit de descendre dans la rue : l'homme d'aujourd'hui ne ressemble guère à son père, qui lui-même n'a pas grand-chose à voir avec son propre père. Mutations sociales (démocratisation, féminisme, mouvement gay) et mode de vie régi par les codes de la société post-industrielle (libéralisme, individualisme, consommation) se reflètent dans le corps du mâle contemporain. Idem dans l'agora audiovisuelle ou l'iconographie publicitaire, l'homme qui s'y affiche est d'apparence moins brutale, peut-être moins mature aussi. C'est la jeunesse plus que la sagesse qui a le vent en poupe. "Ceste barbe honorable est asseuré signe/De la masle vertu eschauffant la poitrine,/Que nul ne doit porter d'homme de bien le nom,/S'il ne porte premier ceste marque au menton", énonçait un poème médical du XVIe siècle. De nos jours, fini l'obligation du poil facial pour prouver qu'on est un homme, un vrai... Même le sportif, longtemps paradigme d'une conception carrée de la virilité, ne correspond plus au vieux cliché. Pour preuve : le footballeur anglais David Beckham à l'allure "métrosexuelle" (l'hétérosexuel urbain amateur de chiffon et de soins cosmétiques)... L'homme serait-il aujourd'hui moins viril qu'aux siècles précédents ? Tout dépend de ce qu'on entend par ce mot. Le Dictionnaire universel d'Antoine Furetière de 1690 en donne une >définition : "Qui convient, qui appartient à l'homme." Cette idée de convenance et de qualité intrinsèque montre bien que la virilité n'équivaut pas à la masculinité - le propre du sexe masculin, tel qu'il est défini par l'anatomie. Car bien que corroborée par des attributs physiques, la virilité est avant tout perçue comme valeur. Et qui dit valeur dit construction susceptible d'être déconstruite et analysée. Aussi la virilité n'est-elle pas une chose toute faite, mais bien un concept qui s'est forgé au fil des âges et dont le devenir n'est pas fixé. Pour paraphraser Simone de Beauvoir : on ne naît pas viril, on le devient.

Après une Histoire du corps sous la direction d'Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, les éditions du Seuil publient une Histoire de la virilité sous la houlette des trois mêmes. Cette somme colossale qui retrace la généalogie de l'identité masculine et interroge son évolution se décline en trois volumes : L'invention de la virilité. De l'Antiquité aux Lumières (dirigé par G. Vigarello) ; Le triomphe de la virilité. Le XIXe siècle (dirigé par A. Corbin) ; La virilité en crise ? Les XXe-XXIe siècles (dirigé par J.-J. Courtine). Une trentaine d'auteurs ont été mis à contribution. De la virilité grecque, associée à la trempe de l'athlète et à la maîtrise de soi du philosophe, au mâle angoissé de l'aube du XXIe siècle en quête de lui-même, c'est un panorama fort pédagogique qui se déploie. La virilité médiévale a pour modèle le chevalier, qui in fine tente d'imiter l'homme-Dieu, le Christ ; au siècle de Louis XIV, le Roi-Soleil, mélange de la toute-puissance politique et épitomé de la courtoisie de cour, incarne l'Apollo regnante. Mais c'est au XIXe siècle, auquel est consacré un tome entier, que s'affirme la position du "macho", légitimée par les Codes civil et pénal. Peinture de la Renaissance (Nadeije Laneyrie-Dagen), comics américains (Pascal Ory) ou cinéma hollywoodien (Antoine de Baecque), mais aussi visions populaires (Arlette Farge), on appréciera ce faisceau de points de vue "de côté".

Après deux conflits mondiaux et autres guerres modernes, et malgré les totalitarismes fasciste et communiste qui ont célébré un mâle hyperbolique, l'idéal du soldat en a pris un coup. Dans la période contemporaine, l'image de l'homme s'est sans conteste adoucie. Mais les rapports homme-femme ont beau changer les attitudes, on ne manquera pas de rappeler avec la sociologue Claudine Haroche que "la virilité est l'élément central de la mémoire de la domination masculine". Autre phénomène nouveau, observé par l'historienne de la médecine Anne Carol, une virilité au prisme de la sexologie et s'inscrivant dans l'économie de marché dont "[l']expression s'apparente de plus en plus dans les normes à une performance". Est-ce l'"impossible virilité" dont parle Bourdieu ? Rien n'est jamais joué. Avec beaucoup de si, tu deviendras un homme, mon fils.

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