Le 31 janvier 2018, la Cour de cassation a mis fin à une feuilleton judiciaire relatif à une version manuscrite des Mémoires d’outre-tombe.
En 1836, c’est un Chateaubriand sans grande fortune qui avait cédé aux éditeurs Delloye et Sala les droits pour la future publication de ses Mémoires. L’accord prévoyait le versement d’une somme de 156000 francs ainsi qu’une une rente viagère mensuelle de 12 000 francs.
L’écrivain avait cependant gardé une copie de son texte aux fins de le remanier jusqu'à son décès, en 1848. Le manuscrit, écrit par ses secrétaires et signé par Chateaubriand, avait été déposé chez un notaire. D’étude en étude, un ultime notaire parisien avait mis le document en vente aux enchères, en 2013. L’estimation le chiffrait entre 400000 et 500000 euros.
Peu avant la vacation, la société de ventes aux enchères a néanmoins fait savoir qu’elle vendait le manuscrit de gré à gré à la Bibliothèque Nationale de France (BNF).
Vente impossible
Mais le parquet de Paris s’en est mêlé et le texte a été mis sous scellés à la BNF. Le délit d’abus de confiance au détriment de la succession de l’auteur a été retenu comme qualification pénale.
Il s’agit d’une infraction qui consiste à ne pas rendre un objet qui a été volontairement et temporairement remis.
Le parquet estimait que le notaire n'était que dépositaire du manuscrit, ne pouvant ainsi le vendre.
En 2016, la Cour d'appel de Paris n'a pas pu ordonner de restitution du document, car les juges ont été incapables de déterminer qui, parmi les héritiers, était le propriétaire du manuscrit. Mais ils ont confirmé la condamnation du notaire à 25 000 euros d'amende. Celui-ci s’est ensuite pourvu en cassation. Et les hauts magistrats ont, au final, rejeté le pourvoi.
Les débats sur la propriété des manuscrits disparaîtront sans doute avec le triomphe des ordinateurs et autres tablettes. Mais la jurisprudence est relativement abondante en la matière.
Le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi, le 12 septembre 2013, tranché un litige relatif à la propriété de manuscrits d’Henri de Monfreyd.
L'éditeur propriétaire
C’est l’article L. 132-9 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) qui fixe le sort du manuscrit en tant qu’objet matériel : « Sauf convention contraire ou impossibilités d’ordre technique, l’objet de l’édition fournie par l’auteur reste la propriété de celui-ci. L’éditeur en sera responsable pendant le délai d’un an après l’achèvement de la fabrication. » Et l’éditeur peut bien évidemment conserver le manuscrit pendant tout le temps nécessaire à la fabrication de l’ouvrage.
L’éditeur reste en tout état de cause propriétaire de la composition qu’il a faite de l’ouvrage, et les juges estiment que l’auteur ne peut la réclamer pour une nouvelle édition chez un autre éditeur. Il en est bien évidemment de même avec les films des illustrations.
L’éditeur doit rendre les manuscrits non retenus, sauf existence d’une clause contraire, insérée par exemple dans une correspondance précontractuelle entre l’éditeur et l’auteur. Cette clause ne peut consister en une simple annonce dans la presse, et l’éditeur qui tarderait trop à rendre un manuscrit non retenu peut voir sa responsabilité retenue en justice.
L’évolution du numérique rend peu à peu obsolète la notion de support matériel original des œuvres, qu’il s’agisse de textes comme d’illustrations.
Un enjeu financier
Mais le droit, et les auteurs recalés, en font toujours un enjeu financier parfois lourd de conséquences pour les maisons d’édition.
L’article L. 111-3 du CPI dispose que « la propriété incorporelle (…) est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code ».
Le texte prévoit encore que « ces droits subsistent en la personne de l’auteur ou de ses ayants droit qui, pourtant, ne pourront exiger du propriétaire de l’objet matériel la mise à leur disposition de cet objet pour l’exercice desdits droits. Néanmoins, en cas d’abus notoire du propriétaire empêchant l’exercice du droit de divulgation, le tribunal de grande instance peut prendre toute mesure appropriée ».
Le principe est clair : la propriété matérielle du support d’une œuvre (manuscrit, Ektachrome, toile, fichier numérique etc.) n’emporte en rien la propriété des droits d’auteur. À l’inverse, la cession de droits n’entraîne pas, sauf disposition contractuelle expresse, la cession du support matériel.
La cour d’appel de Paris a rappelé, en 1980, que l’éditeur peut bien évidemment conserver le manuscrit pendant tout le temps nécessaire à la fabrication de l’ouvrage.
En 1997, la Cour de cassation a attribué au seul dessinateur la propriété matérielle des planches originales d’une bande dessinée.
En cas de perte d’un manuscrit, l’éditeur peut voir sa responsabilité retenue en justice. Mais la propagation des techniques, aussi bien informatiques que de reprographie, a mis un frein au montant des dommages-intérêts accordé aux « would-be writers », surtout mécontents du refus infligé.