On retrouve, dans Pixley Mapogo, Jarle Klepp, le héros de Charlotte Isabel Hansen, le précédent roman de Tore Renberg, paru au Mercure de France en 2011. Cette fois, on est en 2007. Neuf ans ont passé. Jarle a 35 ans. Il est journaliste au Stavanger Aftenblad, un quotidien de province norvégien tendance chrétien conservateur. Sa fille Charlotte, conçue par hasard un soir de beuverie et redécouverte brusquement alors qu’elle avait 7 ans, en a maintenant 16. C’est une adolescente mature, libre et qui a du caractère. Elle vit à Oslo en colocation avec des copines. Jarle, en dépit de son âge et de son « embourgeoisement », essaie de garder l’esprit rock’n’roll de sa jeunesse, son côté fêtard. C’est pour ça que, ce jour de 2007 où commence le roman de Renberg, il est descendu à Oslo pour voir le concert de reformation des Smiths, son groupe culte, dont il a prévu d’envoyer le compte rendu à son journal, à chaud. Mais un événement imprévu va venir bouleverser ses plans, dont la cause, un peu malgré elle, n’est autre que Charlotte.
Juste avant le début du show, Jarle aperçoit un couple en train de faire l’amour, un peu à l’écart. Un jeune Noir honorant fougueusement une jeune Blanche. Sa propre fille, bien sûr ! Avant de se décider à intervenir, il revoit défiler en flash-back un certain nombre d’épisodes troubles de son propre passé : comment, en 1982, il avait participé au tabassage de Bülent, un de ses copains, un Turc pourtant apparemment bien intégré ; comment, en 1992, à Prague, il avait failli craquer pour Tobias, « le garçon caramel », et son sexe « mahousse », comme disait Gainsbourg. Alors, dans une bouffée de rage incontrôlée, le père brise l’étreinte entre Charlotte et son ami, Pixley Mapogo, refusant toute explication, alors que le garçon, « beau et bon », est un type sérieux, fils du consul d’Afrique du Sud, qui bosse dans un restaurant italien pour financer ses études.
A partir de là, Jarle va connaître une espèce d’enfer, entre sa fille qui ne veut plus le voir, Helge, son copain alcoolo qui manque mourir d’une cirrhose, Hasse, un autre de ses copains ivrognes, qu’il a chargé de rédiger à sa place son papier sur les Smiths et qui a écrit n’importe quoi. Son rédacteur en chef est furieux, il risque sa place… Comment se sortira-t-il de cet imbroglio provoqué par sa faute ?
A travers cette histoire tragicomique, mais bien plus sombre que Charlotte Isabel Hansen, Tore Renberg dépeint avec Jarle un homme occidental moyen, complexé par ses performances sexuelles et fantasmant sur celles des autres, les Blacks, véhiculant des relents racistes, une homosexualité refoulée. Par-delà, c’est toute la société scandinave qui en prend un coup, avec ce prétendu « modèle » d’intégration, de politiquement correct que les post-soixante-huitards, qui font ici l’opinion, ont vanté durant des décennies. Mais la crise a sévi aussi aux pays des fjords : appauvrissement, chômage, immigration mal maîtrisée, racisme, violence, montée de l’extrême droite. En lisant Tore Renberg, on pense évidemment au massacre d’Utøya, survenu en 2011, à Oslo. Jean-Claude Perrier