Les maladies meurent aussi. Ce sera sans doute le cas de la schizophrénie qui devrait, en mai prochain, sortir de la Classification internationale des maladies (CIM) établie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour le comprendre, il faut lire l’étude d’Hervé Guillemain. Cet historien (université du Maine, au Mans), qui travaille sur les racines culturelles et sociales des maladies et sur leurs traitements, s’est intéressé à cette étrange folie.
A partir des dossiers de 157 patients qui s’étalent du début du XXe siècle aux années 1970, il observe comment une pathologie s’élabore pour y faire entrer les malades. Si le terme forgé par le psychiatre suisse Eugen Bleuler en 1911 rend compte de la cassure de l’esprit - skhizein et phrên en grec ancien -, il est aussi associé par Hervé Guillemain à une fracture sociale, les malades étant autant séparés d’eux-mêmes que du monde.
Mais qu’y a-t-il derrière ce mot ? Un peu de tout. On y glisse des étrangères pour lesquelles sont associés déracinement et psychose, des dactylos surmenées, des femmes qui entendent des voix. Cela fait beaucoup de femmes tout de même, au point de se demander si la schizophrénie n’a pas remplacé l’hystérie, elle-même ayant supplanté la mélancolie.
Voilà pourquoi Hervé Guillemain considère qu’elle est "le produit d’une conjoncture". De maladie, elle est passée au statut de fléau social. Elle est la part du fou que l’on met à part dans nos sociétés, à l’image de ces internés parisiens transférés en province. Elle se révèle sur une carte de 1947. On y voit une France syphilitique à l’est, paranoïaque au centre et au nord, persécutée à l’ouest, délirante à Paris et démente au sud et en Corse.
Hervé Guillemain rapporte aussi l’acharnement thérapeutique sur des patients reconnus au premier coup d’œil. La figure du schizophrène se charge d’une connotation sociale négative : non seulement le sujet résiste à la médecine, mais il s’oppose à la famille, à l’armée, au travail. Les traitements vont de l’électrochoc à la lobotomie en passant par les injections intramusculaires d’essence de térébenthine pour provoquer une fièvre réparatrice.
En mettant en avant la souffrance et la crainte des malades, Hervé Guillemain fait moins l’histoire de la schizophrénie, déjà très documentée, que celle des schizophrènes, à l’échelle des malades, pour mieux comprendre les effets secondaires de cette psychose universelle. Laurent Lemire