La tempête est infinie, ne cesse pas. On passera du rire, à l'étonnement puis aux larmes dans l'épopée contée par Vladimir Sorokine. Et on réapprendra à regarder les arbres, le ciel, et ce qu'on ne veut voir avec Georges Didi-Huberman. Un médecin doit aller soigner un village atteint d'une mystérieuse épidémie. Problème, il n'y a plus de chevaux à la poste. Au dehors, La tourmente . On se croit dans un roman russe du XIXème siècle, puis lorsqu'il rejoint l'attelage du livreur de pain, on ne sait plus. Premier des éléments fantastiques qui vont émailler le récit, celui-ci est composé de cinquante chevaux. Cinquante ??!! Oui mais minuscules, " pas plus gros qu'une perdrix ". Des chevaux gros comme des oiseaux, de couleurs et de caractères différents, comme ce petit roux représentant peut-être un double-totem de son maître. Et les voilà lancés dans un voyage de quelques kilomètres riche en péripéties. Il faudrait ne rien savoir de ce livre avant de l'ouvrir pour être pleinement saisi par le charme et les péripéties qu'il recèle. Car il faut préserver la surprise, la magie, et le suspense du drame. Comme l'attente, et l'espoir. L'espoir qu'ils parviennent à destination et que les humains soient sauvés. Pour, au final, pousser un cri. Pendant ce temps, Didi-Huberman ouvre son récit déambulatoire à Auschwitz-Birkenau par une photo d' écorces de bouleau qu'il a arrachées dans le bois polonais. On comprendra ce geste qui n'était prémédité au terme d'une réflexion poétique et touchante, bouleversante même, comme l'est rarement un ouvrage de la main d'un théoricien de l'art et des images. Je n'en rapporterai qu'un passage afin, ici aussi, de laisser intact ce que le lecteur partagera. Ce n'est pas difficile à lire, ce n'est pas "déprimant" (adjectif réducteur, abusif, trop utilisé parfois à propos d'un sujet). Simplement, à un moment, il prend en photo trois stèles sur lesquelles sont agrandies des photos prises par des prisonniers du camp d'extermination. On y voit des groupes d'hommes, de femmes, d'enfants, le bois, une fosse, de la fumée blanche. Mais il existe une quatrième photo qui n'est pas présentée au public. C'est une photo "ratée". On y voit la cime des arbres et le ciel. Elle est d'apparence on ne peut plus anodine. Et elle est autant témoin que les autres : c'est le danger de prendre une photo à Auschwitz, le risque de voir, l'éternité du ciel, et des arbres dont la sève se nourrit dans le sol. On sait ce qu'il contient. On sait où sont les morts. Ainsi de la photo, de la pensée, du roman, encore : voir ce qui est là et qu'on ne voit pas. ________ La tourmente , Vladimir Sorokine, Editions Verdier Ecorces , Georges Didi-Huberman, Editions de Minuit (disponible à partir du 3 novembre 2011)