La Cour de cassation vient de rendre – le 5 février dernier – une étrange décision en forme de victoire pour les négationnistes en tout genre. Un individu avait déclaré sur Canal+ Antilles, ainsi que sur un site Internet : «Les historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent des mauvais côtés de l'esclavage, mais il y a les bons côtés aussi. C'est là où je ne suis pas d'accord avec eux. Il y a des colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont affranchis, qui leur donnaient la possibilité d'avoir un métier.» Avant d'ajouter : «Quand je vois des familles métissées, enfin blancs et noirs, les enfants sortent de couleurs différentes, il n'y a pas d'harmonie. Il y en a qui sortent avec des cheveux comme moi, il y en d'autres qui sortent avec des cheveux crépus, dans la même famille avec des couleurs de peau différentes, moi je ne trouve pas ça bien. On a voulu préserver la race.» Le Ministère public et plusieurs associations avaient demandé la condamnation de ce personnage sur le fondement de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, qui réprime notamment l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou crimes et délits de collaboration avec l'ennemi. Ils soutenaient que la loi du 21 mai 2001 sur la reconnaissance de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité pouvait être mise en œuvre et articulée avec les articles de la loi de 1881. La Cour de cassation ne s'est en rien prononcée sur les propos tenus. Mais elle a cassé la décision de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 30 juin 2011, en jugeant, à propos de la loi de 2001, qu' «une telle disposition législative, ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments constitutifs du délit d'apologie» . Car, entretemps, le Conseil constitutionnel a, le 28 février 2012, censuré la loi visant à intégrer le délit de contestation ou de minimisation outrancière de l'existence d'un ou de plusieurs crimes de génocide. En l'occurrence, il s'agissait du génocide arménien. Et le Conseil avait estimé que le législateur avait porté une «atteinte inconstitutionnelle à l'exercice de la liberté d'expression et de communication» . Dans un mouvement de suivisme, les magistrats de la Cour de cassation se sont donc sentis autorisés à nier la validité des lois mémorielles relatives à l'esclavage. Les éditeurs les plus marginaux politiquement s'en porteront sans doute mieux. Ce faisant, les hauts magistrats ébranlent un peu plus le fragile édifice des lois mémorielles. S'il faut se féliciter de toute décision en faveur de la liberté d'expression, il n'est pas certain que ce soit en s'attaquant à ce type de textes – alors que des motifs bien plus légers, tels que le respect de la vie privée, sont considérés comme solidement établis – que ladite liberté soit la mieux préservée.