Le sujet de la rémunération était passé à la trappe lors de la première mission Sirinelli. Il sera au cœur des discussions de la nouvelle mission commandée le 10 avril dernier par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Les acteurs en sont les mêmes – auteurs et éditeurs discuteront de nouveau sous l’égide du professeur émérite de droit privé Pierre Sirinelli –, et les points potentiels de blocage restent eux aussi inchangés.
Pour mémoire, le premier volet des négociations lancées en mai 2021 s’était achevé mi-mars sans que les parties parviennent à signer aucun accord, malgré des avancées significatives sur divers sujets. Le projet d’accord actait ainsi déjà le passage progressif d’une reddition des comptes annuelle à une reddition des comptes semestrielle obligatoire, assortie du paiement des droits dus aux auteurs. Le texte prévoyait aussi une information systématique de l’auteur en cas de cession de ses œuvres à des tiers ; l’envoi à l’auteur d’une attestation de fin de contrat ; la mise en place d’une information spécifique relative aux contributions non significatives ou encore la généralisation de l’information du traducteur en cas de disparition du contrat de cession de l’œuvre traduite. Tous ces points d’accord, qui n’avaient pu être signés par le Syndicat national des éditeurs (SNE) au motif officiel d’un défaut de quorum suffisant pour faire valider le vote de ses adhérents, devraient être entérinés dès le début des échanges de la nouvelle mission.
Les parties pourront ainsi se concentrer sur la rémunération. Les attentes sont grandes, et la méfiance des auteurs tout autant. « Nous ne nous réjouissons pas particulièrement de participer à ces nouvelles négociations, explique Stéphanie Le Cam, directrice générale de la Ligue des auteurs professionnels. Nos bénévoles sont très éprouvés par les mois de discussions déjà menés dans le cadre de la première mission. » La Ligue défendra le principe de l’encadrement du travail des auteurs et d’une rémunération distincte pour chaque étape du processus de création.
De leur côté Séverine Weiss (ATLF) et Christophe Hardy (SGDL), au nom du Conseil permanent des écrivains (CPE), s’ils se félicitent que la rémunération « figure clairement dans la nouvelle lettre de mission, ce qui n’était pas le cas dans la première », se montrent assez circonspects quant aux chances d’aboutir dans les délais tels qu’ils sont fixés. « La lettre prévoit un point d’étape à la fin octobre et la fin de la mission en décembre 2022, soulève Christophe Hardy. Cela nous semble un peu court au regard des enjeux liés à la rémunération. » En complément dans un communiqué paru ce jour, le CPE exprime néanmoins sa satisfaction que la ministre de la Culture et son équipe aient souligné que ce sujet de la rémunération était « aujourd’hui à l’agenda politique » et qu’aucun responsable ne pouvait l’ignorer.
Le ministère pousse
La feuille de route, en ce qu’elle évoque la mise en œuvre de la clause de réexamen prévue par l’accord de 2014 pour le numérique et son éventuelle extension au domaine de l’imprimé, ainsi que l’article 20 de la directive du 17 avril 2019, dit « de best-seller » qui permet de revaloriser la rémunération de l’auteur en cas de succès de son livre, laisse en effet les auteurs espérer certaines avancées. Tout comme le fait que Roselyne Bachelot a personnellement signé la lettre de mission alors qu’elle s’apprête à rendre (pour les retrouver plus tard ?) les clés de son ministère. Enfin, l’obligation pour Pierre Sirinelli de solliciter un « spécialiste en économie pour expertiser les propositions de nature économique qui seraient faites par les organisations représentant les auteurs et celles représentant les éditeurs » témoigne de la volonté du ministère de la Culture d’obtenir des avancées.
Dans ce contexte, les éditeurs seront-ils contraints de lâcher du lest ? En 2020, le rapport Sirinelli/Dormont diligenté par le CSPLA avait certes dit non au principe du contrat de commande, l’une des propositions phares du rapport Racine. Les auteurs défendent maintenant l’idée d’un minimum garanti non amortissable. « Aujourd’hui l’auteur perçoit un à-valoir sur les droits qui sera amorti sur les ventes de son ouvrage, explique Séverine Weiss. Le minimum garanti permettrait que ce socle ne soit jamais entamé. »
Sur ce sujet comme sur d’autres le SNE, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, devra prendre position. L’instance organise dans un premier temps le 9 mai prochain un wébinaire d’information à l’attention de ses adhérents pour évoquer le projet d’accord. Son bureau se réunira ensuite le 11 mai en vue d’une communication officielle. Quoi qu’il en soit, les négociations ne devraient réellement commencer qu’après l’assemblée générale du SNE, prévue pour la mi-juin. Auteurs et éditeurs auront alors un peu plus de six mois pour lisser leurs désaccords. Une prolongation du délai au-delà de 2022 semble d’ores et déjà inévitable.