Charles Gérault, le narrateur et héros d’Alma Brami, tout le monde le désigne par son nom de famille, et ça l’agace. Sauf sa mère, qui l’appelle "mon cœur", mais ça l’énerve encore plus. Car la vieille femme, que lui appelle "mémé" et surnomme "le fléau", est une garce acariâtre, tyrannique, qui finit sa vie en maison de retraite. Le fils se croit obligé d’aller y subir ses méchancetés, ses humiliations, ses tentatives de le culpabiliser. A part ça, Gérault a encore bien du malheur. Plus tout jeune, gros, moche et chauve, mou de caractère, lâche et menteur, il se retrouve chômeur.
Dans sa triste vie, il y a son histoire avec Françoise, bibliothécaire dans un collège. Une relation platonique et sans aucune tendresse. Dans ses pensées les plus intimes, Gérault la décrit laide, ennuyeuse, bobonne. Leur premier dîner au restaurant se révélera calamiteux, tout comme leur "nuit d’amour". Un fiasco. Il a bien aussi quelques vieux copains, dont Jean-Yves, marié à Greta, dite "Heinchérie" parce que le mari s’enquiert sans cesse de l’opinion de sa moitié, lesquels l’invitent chez eux à déguster une blanquette immonde dont il doit emporter les rogatons dans un doggy bag, l’accablent de leur sollicitude, de leur "empathie poisseuse". Mais ils lui trouvent quand même un job : employé à tout faire méprisé dans l’épicerie de leur neveu Dimitri, "un jeune con", fainéant, bellâtre. Un sale type dont Gérault va s’accommoder. De toute façon, il ne sait pas dire non, et n’a guère le choix. Dans son entourage enfin, il y a Etienne (et sa femme, Jeannine - finement surnommée "Ninja"), un parfait abruti, qui l’invite aussi à manger, en famille, avec ses beaux-parents, et son fils, "Taches-de-Rousseur", qui s’attache à Gérault et lui témoigne de l’affection. C’est la première fois qu’il se sent aimé par quelqu’un. Du coup, le vernis craque. Longtemps et profondément refoulé en lui, le bonhomme va laisser parler son cœur, prendre sa vie en mains et, qui sait ?, se faire la belle…
Alma Brami, dont c’est là le sixième roman, a composé une microcomédie humaine aussi cruelle que réjouissante, jamais méchante ni outrée. On rit, on se régale, on plaint Gérault, un peu mais pas trop. Et l’on est content de l’espèce de happy end imaginé par la jeune et talentueuse romancière. J.-C. P.