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La malédiction du fleuve

Chigozie Obiama - Photo Zach Mueller/L’Olivier

La malédiction du fleuve

Le narrateur évoque le Nigéria des années 1990 et une enfance avec ses frères qui eurent la mauvaise idée d’aller pêcher. Premier roman du Nigérian Chigozie Obioma.

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Par Sean James Rose
Créé le 25.03.2016 à 00h30 ,
Mis à jour le 01.04.2016 à 13h55

L’œil qui nargue un père et méprise l’obéissance d’une mère, les corbeaux du torrent le crèveront, les aigles le dévoreront. "Anya nke nakwa nna-ya emò…" La mère du narrateur des Pêcheurs de Chigozie Obioma profère le terrible passage du livre des Proverbes en igbo, l’une des langues du Nigéria, pour prévenir ses enfants que la parole parentale a force de loi. A Akure, ville au sud-ouest du Nigéria, le XXe siècle entame sa dernière décennie. La famille du narrateur, Benjamin, est igbo dans une région où les Yorubas sont majoritaires. Statue du commandeur mais progressiste pétri d’éducation occidentale, le père rêve pour chacun de ses fils d’une carrière qui de médecin, qui d’avocat, qui de professeur. "L’Aigle" travaille à la Banque centrale du Nigéria et vient d’être muté à l’autre bout du pays. Sa femme se retrouve à gérer seule le foyer et s’occuper de leurs enfants, dont quatre garçons âgés de 9 à 15 ans, Benjamin étant le plus jeune de la bande. Le contexte n’est pas facile : tensions interethniques - les Igbos minoritaires et chrétiens ne sont pas bien vus -, atmosphère fébrile d’élection présidentielle - l’Etat nigérian est une entité créée par les anciennes frontières coloniales britanniques qui ne recoupent pas forcément les réalités culturelles -, et le fleuve Omi-Ala, ancien Dieu abandonné, aujourd’hui dangereux égout qui charrie des cadavres. Aussi a-t-il toujours été strictement interdit d’approcher ce cours d’eau hostile. Le père a toute confiance en l’aîné Ikenna adulé par ses cadets et qui semble être la raison incarnée. Jusqu’au moment où, la monotonie des jours aidant, "Ike" découvre avec d’autres camarades de jeu les plaisirs de la pêche et entraîne sa fratrie dans ce divertissement interdit. Ecole buissonnière et cannes à pêche clandestines, l’obéissant aîné non seulement se rebelle, mais se retourne aussi contre ses frères et notamment celui dont il est le plus proche en âge, son quasi-jumeau et meilleur ami Boja. La mère d’abord furieuse s’inquiète sincèrement. Pourquoi Ike a-t-il frappé Boja ? La loi du silence qui lie le carré fraternel se délite. C’est à cause d’Abulu le Fou, explique Obembe, le troisième juste avant Benjamin. Mi-Diogène, mi-Tirésias, le pauvre hère crasseux et exhibitionniste qui dort sous le manguier près du fleuve a prédit à Ikenna qu’il mourrait de la main d’un de ses frères.

Avec ce premier roman entre picaresque et tragédie, Chigozie Obioma prouve la vivacité et la diversité des voix nigérianes et notamment de la minorité igbo - avant lui, le grand Chinua Achebe plus récemment, Chimamanda Ngozi Adichie. Une révélation. S. J. R.

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