Elle a mis 25 ans à sortir de terre. Dans les quartiers du nord de Marseille - où des barres d'immeubles sont détruites pour faire place à des lotissements -, sous des logements sociaux et devant une place devenue parking sauvage se dresse depuis 2020 la médiathèque Salim-Hatubou, victime de son succès : entre 200 et 700 personnes se pressent chaque jour sur ses 900 m2. « Il y a un monde fou les mercredis. Ce n'est pas une bibliothèque silencieuse, sourit la responsable adjointe Coline Meirieu, arrivée en novembre 2021, après Aix-en-Provence et Argentan (Orne). Notre travail est donc de proposer des activités pour canaliser ces énergies ! » Les enfants excités piquent des sprints dans le patio. À l'approche des examens, la bibliothèque ajoute des tables et des chaises un peu partout, même dans l'auditorium, et refourgue des lycéens au restaurant attenant - qui nous offre de l'eau fraîche, à défaut d'en trouver dans la bibliothèque. À la rentrée, tous les collégiens du secteur défilent ici avec leur documentaliste. Sur les ordinateurs du personnel à l'accueil, des jeunes ont collé des post-it « merci média ciao ! » nom affectueux qu'ils donnent à la bibliothèque.
Et chaque semaine, l'octogénaire Josette Berthier, bénévole à l'association Acelem, les invite à jouer avec elle au Scrabble. Dans l'équipe de douze bibliothécaires, « beaucoup viennent des Acelem », note la directrice. Quatre se consacrent à la médiation culturelle, et si des ados s'ennuient encore, ils leur proposent des animations spontanées. Échecs, aide aux devoirs... « Mais Garance, qui ne fait pas partie de cette équipe, prépare aussi des ateliers. » La bibliothèque, constituée à 65 % de collections jeunesse, est fortement fréquentée par des enfants seuls, dès 6 ans. « Il n'y a pas vraiment d'autre lieu sur le territoire pour les accueillir », rappelle Coline Meirieu. Leurs mères ne parlent pas toujours français, et demandent aux bibliothécaires de vérifier si les devoirs ont bien été faits. Une ado nous interrompt pour flanquer la bise à la bibliothécaire, qui s'enquiert de blessures sur les joues. « Une dispute », avance la collégienne. Elles en rediscuteront.
La médiathèque attire également des habitants du centre-ville, à dix kilomètres, « pour les activités, les services numériques, l'ouverture à 10 heures, les salles de travail et les jeux de société », énumère la directrice, qui s'attelle pleinement depuis janvier à une nouvelle médiathèque en centre-ville, en apprenant des erreurs faites ici, un espace ouvert trop bruyant par exemple. Mais c'est aussi le signe que la bibliothèque est bien adoptée par nombre d'habitants.