7 janvier > Roman France

"Tout est en place et chacun joue sa partie. Ils n’ont aucune idée de ce qu’ils font, mais ils font tout comme je l’avais prévu", observe Paul Objat, agent des services secrets français, second du général Bourgeaud, un "ancien du service Action - planification et mise en œuvre d’opérations clandestines -, spécialisé dans l’infiltration et l’exfiltration de personnalités sensibles dans le but de renseignement", les deux premiers personnages dont le lecteur fait la connaissance dans Envoyée spéciale, le quatorzième roman de Jean Echenoz. C’est à peu près ce que se dit aussi le lecteur arrivé au mitan de ce roman qui après 14 (2012) et la suite de biographies romancées, Ravel (2006), Courir (2008), Des éclairs (2010), librement consacrées respectivement au musicien Maurice Ravel, au sportif Emil Zátopek et à l’ingénieur Nikola Tesla, renoue avec la fantaisie et le détournement de genre débridé. Car si l’écrivain, prix Médicis 1983 pour Cherokee et prix Goncourt 1999 pour Je m’en vais, fait mine de temps à autre de ne pas savoir où il va - on peut vous dire, jusqu’en Corée du Nord -, il prend un plaisir visible à balader tout son monde. Un dialogue entre nos deux conspirateurs des premières pages nous fait supposer qu’une opération secret défense se prépare. Dans le chapitre suivant, Constance, une jeune Parisienne inactive mais sans soucis d’argent, est enlevée dans une rue du 16e arrondissement par trois hommes dont un "au regard d’autruche" et l’autre "au museau de lamantin". Jean-Pierre et Christian. Ils deviendront ses geôliers dans une vieille ferme isolée de la Creuse.

Le mari, un has been de la chanson, musicien en panne mais auteur-compositeur d’un tube mondial quinze ans plus tôt, ne tarde pas à recevoir demande de rançon et menaces. Sous le nom de scène de Lou Tausk, il travaille en tandem avec Franck Pélestor, parolier austère et peu inspiré. Il a aussi un demi-frère, un avocat prospère, et traîne "une affaire sur les détails de laquelle il n’aimerait pas voir se rafraîchir la mémoire policière". D’autres protagonistes sont dans le champ, dont un homme avec une tache en forme de Nouvelle-Guinée sur le front un autre avec une cicatrice figurant un W sur la joue.

Pendant que les cafouillages se multiplient, l’otage, qui passe le temps en lisant les dix volumes du dictionnaire encyclopédique Quillet, est tout à fait bien traitée par ses ravisseurs, deux bras cassés un peu lourdauds, dilettantes et, selon les situations, comiques ou inquiétants d’amateurisme.

Le crapuleux, la raison d’Etat et la géopolitique se mêlent dans ce roman entre parodie de films de contre-espionnage dans la catégorie Legrand blond avec une chaussure noire et version absurdement revisitée de faits divers comme l’affaire du baron Empain.

Distancié, se moquant de ses marottes stylistiques comme son goût pour les énumérations, Jean Echenoz s’amuse, dans une complicité familière avec son lecteur qu’il incite à faire preuve de patience : tout trouvera son explication, même la plus farfelue, à la fin.

Véronique Rossignol

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