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La gloire du caricaturiste

Juan Gabriel Vásquez - Photo Hermance Triay/Seuil

La gloire du caricaturiste

Au jour de sa gloire, un caricaturiste colombien se voit confronté aux ombres de son passé. C’est Les réputations, le quatrième roman de Juan Gabriel Vásquez, qui le confirme comme l’une des voix majeures de ce temps.

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Par Olivier Mony
avec Créé le 30.05.2014 à 03h05

Entre la gloire et la honte, il n’y a parfois qu’une question de point de vue, un instant qui succède à un autre, le temps d’un soupir. C’est en proie à ces moroses pensées que Javier Mallarino, le plus célèbre caricaturiste colombien, une légende vivante en son pays, se dirige vers le Théâtre national de Bogotá pour s’y voir remettre la plus haute des décorations. Depuis quarante ans qu’il incarne presque à lui seul l’idéal démocratique et la liberté de la presse, Mallarino a eu tout le loisir de se retourner vers son passé, d’en débusquer les ombres et les lignes de fuite. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il songe, ce matin-là, à son lointain prédécesseur, Ricardo Rendón, suicidé à l’aube des années 1930 en laissant ce mot énigmatique, "je vous supplie de ne pas me ramener chez moi". Mallarino, vieux loup sauvage et solitaire, ayant quitté la capitale plus d’un quart de siècle auparavant pour une grande maison à flanc de montagne, se fait "chaperonner" pour cette cérémonie par Magdalena, son ex-femme, ce qui est pour lui motif à la fois de joie et de trouble. Pressent-il qu’il a aussi rendez-vous avec lui-même, avec son destin, sous les traits d’une jeune journaliste venue à cette occasion l’interroger ? La jeune femme qui, pas plus que quiconque en cette histoire, n’est vraiment celle qu’elle prétend être, va le confronter à une soirée oubliée, aux visages comme surgis des hauts-fonds de la mémoire, d’une petite fille malade et du député Adolfo Cuéllar. Qu’est-ce qui ce jour-là s’est vraiment joué, à quelle cérémonie, secrète cette fois, Mallarino a-t-il assisté ? De la réponse à ces questions, de sa capacité à les affronter enfin les yeux ouverts, dépendra la possibilité pour Mallarino de vivre sa vie, ou même de la poursuivre.

Dilemme moral et passé qui ne passe pas, tel serait sans doute le "sujet" des Réputations, le quatrième roman du Colombien Juan Gabriel Vásquez (le premier depuis qu’il est rentré de son "exil" barcelonais pour revenir vivre en son pays). Mais Vásquez est trop évidemment romancier pour ignorer qu’au fond un sujet n’est rien, un attrape-nigaud pour quatrième de couverture. Ce qui compte ici, comme dans son roman inaugural, Les dénonciateurs (Actes Sud, 2008), dont il forme en quelque sorte un curieux épilogue, c’est la musique. En l’occurrence, celle du silence. Celle de ces intérieurs cossus et de ces trous de mémoire, par et avec lesquels les individus parviennent à vivre malgré leur faute. L’ample gravité et la beauté poignante de ce roman l’apparentent au Javier Mariás d’Un cœur si blanc et de Demain dans la bataille pense à moi (Rivages, 1993 et 1996), dont il partage l’ambition romanesque et le goût de traiter l’inconscient comme moteur de suspense. Les réputations est un grand livre politique et métaphysique, ce qui revient à écrire que, bien entendu, c’est un roman d’amour. O. M.

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