Ils participaient tous trois au plateau consacré aux littératures du monde et aux échanges que permet la culture, organisé à l'attention du public allemand dans un angle du Hall 3, celui du pays hôte de la foire de Francfort. Ils faisaient partie des huit éditeurs venus d'Afrique et des Caraïbes, invités à la foire par un programme proposé par le Bief, en partenariat avec l’Institut français et l’Organisation internationale de la francophonie. Paradoxalement, les succès des auteurs de la francophonie ont un goût amer pour eux, les privant de talents et de ressources pour leur activité.
"Ce n'est pas nouveau, dès les lendemains de l'indépendance les auteurs haïtiens qui avaient tous fait leurs études en France préféraient être édités à Paris, et les éditeurs qui ont tenté de se lancer en Haïti ont fait faillite, en laissant l'impression qu'ils n'avaient accès qu'à des textes de second choix" explique Wébert Charles. "Encore aujourd'hui, la littérature haïtienne ne s'appartient pas et il n'est pas facile de récupérer des droits pour publier sur place, à un prix accessible au marché local" regrette le fondateur de Legs Éditions.
A Conakry, Ganndal se heurte au même problème, compliqué d'un passé politique dictatorial (comme en Haïti) qui ne laissait aucun espoir de création indépendante à des auteurs ou des éditeurs guinéens. A Dakar, Suleiman Adebowale estime que ce n'est pas une fatalité, et qu'il y a une réelle vitalité éditoriale, souffrant toutefois d'un manque de visibilité, tout particulièrement auprès des éditeurs étrangers qui ne prospectent la littérature francophone qu'à Paris.
L'autre problème, encore plus grave, est l'absence de librairie et de réseau de distribution. La situation est juste "dramatique" pour Marie-Paule Huet. "À Conakry, une ville de deux millions d'habitants, il y a seulement deux librairies qui disposent d'un peu de fonds. Tous les autres points de vente de livres sont des "librairies par terre", des marchands de rue qui ne proposent que du livre scolaire, et c'est identique dans tout le pays". A Port-au-Prince, il y a trois librairies pour deux millions d'habitants également, et elles suffisent malheureusement à la demande, très faible en raison du niveau de vie, et de celui de l'alphabétisation.
Le scolaire
"Il faudrait faire entrer la littérature contemporaine dans les programmes scolaires, mais c'est très difficile, ils ne vont pas plus loin que 1912 pour les auteurs haïtiens" explique Wébert Charles. Le salut vient paradoxalement des Etats-Unis, où les profs de littérature en université cherchent d'autres auteurs que Césaire et Senghor, constate-t-il.
Au Sénégal, c'est aussi le scolaire qui pourrait assurer la stabilité économique des maisons locales. "Il nous suffirait d'un seul manuel qui nous apporterait bien plus de lecteurs et de ventes que tous les autres titres, mais les appels d'offre sont remportés par des éditeurs étrangers parce que nous n'avons pas les moyens d'y répondre" déplore Sulaiman Adebowale. "L'association des éditeurs du Sénégal a lancé un programme de formation pour nous permettre de répondre en commun à ces appels" ajoute toutefois le fondateur d'Amalion.
Dans chacun de ces pays, la création contemporaine incarne des sensibilités bien particulères et diverses, autour de la mythologie Yoruba pour Louis Camara, un des auteurs d'Amalia, avec des textes qui brisent le silence de la dictature encore très présente dans les esprits en Guinée, ou avec une littérature du vagabondage, due aussi à la répression et l'exil qu'elle a entraîné en Haïti, mais également avec un retour du créole. "Le français pourrait être la métalangue de ces diverses expressions, comme le latin pour les langues européennes" imagine Wébert Charles.