11 janvier > Récit Royaume-Uni > John Berger

"Comment l’expliquer ? Je ne suis pas sûr d’y arriver, mais je veux faire quelques remarques." Toute la démarche intellectuelle de John Berger est résumée dans cette phrase, au détour de ces ultimes notes livrées par l’écrivain et critique britannique naturalisé savoyard, disparu en janvier 2017 à 90 ans. Palabres, qui paraît à L’Olivier, où l’on peut trouver presque toute son œuvre, et qui réédite dans la collection "Replay" le roman de 2009 De A à X, dépose les derniers cailloux sur un chemin d’écriture long de huit décennies. Hommage à l’art, l’amitié, la fraternité, la poésie, la nature, aux petites choses dont une vie est faite et, glissés entre les mots, des dessins de l’auteur. Tout John Berger est bien là : poétique et politique, érudit et concret, large et proche. En onze entrées, il y déploie son regard critique et bienveillant sur le monde. Il réfléchit à la condition d’orphelin à partir du Premier homme d’Albert Camus en évoquant à la troisième personne un enfant de 10 ans aux parents absents, à Londres dans les années 1930. Charlie Chaplin inspire une méditation sur "le vagabond devenu légion". On y croise des vieux amis artistes, un peintre suédois jamais reconnu, un autre d’origine tchèque rencontré lors d’une exposition consacrée à Poussin. On est convié à la Fête de l’Anguille dans une ville côtière près de Venise, invité à regarder la courbe d’une voûte en mosaïque, à écouter une conversation entre quatre jeunes hommes dans le métro parisien et des chants dans une église du Chiapas, à assister au spectacle d’une famille de voltigeurs dans la rue… Dans le texte "Quelques notes sur la chanson" dédié à l’interprète libanaise Yasmine Hamdan, John Berger développe son intuition que "l’essence d’une chanson n’est ni vocale, ni cérébrale mais organique".

Au début du recueil, l’écrivain cite une lettre de Rosa Luxemburg adressée à un ami : "Etre un humain veut dire jeter joyeusement sa vie entière dans la gigantesque balance du destin, s’il le faut, et en même temps jouir de la clarté de chaque jour et de la beauté de chaque nuage." On mesure une fois de plus à quel point John Berger a suivi ce beau programme. V. R.

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