20 août > Roman France > La terre qui penche imagine à six siècles de distance une conversation de fantômes entre une enfant du XIVe siècle et sa vieille âme.
Pour la conteuse Carole Martinez qui sait les écouter, les rivières, à la fois archaïques et contemporaines, charrient en traversant le temps, des légendes ancestrales et abritent au mitan de leurs lits les secrets sédimentés de leurs riverains. Ainsi la Loue qui au milieu d’un apocalyptique XIVe siècle creusait sa vallée dans un pays de coteaux, traversait cette Terre qui penche que les vignerons devaient remonter sur leur dos après les orages. La "Loue enchanteresse", aux humeurs changeantes, courant au pied du château-forteresse du domaine des Murmures, et qui connaît la véritable histoire de Blanche, morte en 1361 à 12 ans, l’héroïne de ce troisième roman dédiée aux femmes de jadis.
Blanche est rousse, plus petite que les filles de son âge. Elle a un frère aîné et une sœur jumelle. Sa mère est morte, frappée par "La Grande Mort", l’un des fléaux de ces temps. La fillette rêve de s’instruire mais son seigneur de père, qui la dresse à la soumission à coups de badines, refuse "par peur que le diable ne s’insinue". C’est une petite rebelle qui s’entraîne à broder en cachette son nom sur sa chemise. "Mon Oiselot, ma Minute, mon Eau-vive, mon Chardon", la surnomme la nourrice, qu’elle va devoir quitter pour suivre son père au-delà des frontières de leur monde, en pays comtois où elle a été échangée contre une alliance entre châtelains. Là, on lui donne un précepteur en attendant les épousailles avec son promis, le fils du seigneur, Aymon, un jeune garçon fou et plein de grâce. Plus tard, elle possédera un grand cheval couleur terre appelé Bouc, du nom d’un écuyer qui ressemble à un ogre. Elle rencontrera Colin "le palefrenier aux yeux sombres", Eloi l’apprenti charpentier et "une géante vêtue de vert" hantant la grève aux Fées.
La terre qui penche est un dialogue entre deux fantômes qui n’en font qu’un : la fillette du XIVe siècle se raconte à "la vieille âme", son esprit, vieux de six siècles. "Tout contre toi, moi la "vieillarde", j’écoute mon enfance causer. Je t’écoute conjuguer jadis au présent et je m’émerveille." Mais la vieillesse ne sait pas comment l’enfance a pris fin.
A ces femmes-ombres tirées de leurs tombe anonymes, Carole Martinez offre sa prose enluminée et sa poésie gaillarde pour réanimer les vieilles croyances, la mémoire de la rivière, la mystique païenne de ses berges. Et chante une geste ardente en hommage à la fillette Chardon.
Véronique Rossignol