3 septembre > Histoire France

Les Lumières ont éclairé la pensée, mais aussi quelques personnalités. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau aurait-il été le premier "people", reconnu dans la rue, célébré ou vilipendé dans les gazettes, et surtout le premier à avoir commenté cette notoriété, promeneur solitaire parmi la foule bruyante de ses admirateurs, célèbre en somme pour ne pas vouloir l’être. Antoine Lilti lui consacre un beau chapitre dans ses Figures publiques sur ce désir ambigu d’être reconnu sans être importuné. Dans ce travail clairvoyant, fruit d’une dizaine d’années de recherches, le jeune historien quadragénaire, remarqué avec son Monde des salons (Fayard, 2005) au XVIIIe siècle où il expliquait le mécanisme de construction des réputations, poursuit son exploration d’une période qu’il connaît bien.

Aujourd’hui directeur d’études à l’EHESS, Antoine Lilti montre que "la célébrité n’est pas une nouveauté de notre monde contemporain, qui témoignerait du déclin de la culture et de la sphère publique, voire de l’oubli des promesses émancipatrices de la modernité, mais un trait caractéristique des sociétés modernes, la forme de grandeur qui leur correspond, une grandeur presque impossible, toujours menacée d’illégitimité".

A l’aide d’exemples, il dévoile l’émergence des grands thèmes : la notoriété orchestrée (Voltaire), la popularité dangereuse (Germaine de Staël), la marque révolutionnaire (Garibaldi), le renom politique (Mirabeau), le prestige littéraire (Byron et Chateaubriand), l’apparition du fan, l’émergence des "vedettes" théâtrales et d’une société des spectacles prédebordienne. Lilti raconte comment Bonaparte a profité de la réputation du comédien François-Joseph Talma et réciproquement.

La célébrité accompagne l’ère de l’individu. Même dans un collectif comme une équipe de foot, on cherche le héros, tout comme dans le concert on attend le soliste. A sa mort, on dira de Franz Liszt qu’il fut le visage le plus connu d’Europe. Certes, le cinéma et la télévision au XXe siècle puis Internet au XXIe ont décuplé le phénomène. Mais le symptôme était là avant. Les stars expliquées par Edgar Morin ne le furent que parce qu’il y a eu Rousseau. Ce n’est pas la multiplication des écrans qui a créé le "people". Il y a plus de deux siècles, on utilisait déjà ces célébrités comme des objets de consommation pour vendre du tabac ou des livres, et on les reproduisait sur des statuettes ou sur des céramiques.

Dans cette enquête, Antoine Lilti nous amène à nous interroger sur la fabrication de ces trompettes de la renommée bien mal embouchées, comme disait Brassens. Dans l’Ancien Régime, on ne dissociait pas la valeur d’un individu de son statut public. Est-on si sûr d’avoir changé d’époque ?

Laurent Lemire

Les dernières
actualités