La French Theory est la pensée française qui a essaimé vers les campus américains à partir des années 1970, c'est Foucauld, Derrida, Deleuze, Cixous, Kristeva... et Baudrillard. Mais l'engouement outre-Atlantique pour le penseur de la disparition de la réalité fut sans doute fondé sur un malentendu. Lorsque des artistes se disant « simulationnistes » et se revendiquant de lui l'interrogent sur l'émergence d'une telle école, Jean Baudrillard répond qu'« il ne peut y avoir d'école simulationniste parce que la simulation ne peut être représentée ». Ce qui vaut pour l'art contemporain vaut pour le reste, le simulacre est le masque qui dévoile que le réel n'est rien. C'est la carte sans le territoire, les codes pour les codes, un langage indiquant notre néant de sens : « La simulation n'est plus celle d'un territoire, d'un être référentiel, d'une substance. Elle est la génération par les modèles sans origine ni réalité : hyperréel. [...] C'est désormais la carte qui précède le territoire - précession des simulacres. »
Le simulacre, la séduction, le virtuel, la réversibilité, l'hyperréel, le trans... tant de concepts qu'a travaillés sa vie durant l'auteur de Simulacres et simulation (1981, Galilée, éditeur de la majeure partie de son œuvre). Dans Remember Baudrillard, le théoricien de la décroissance Serge Latouche rend hommage au sociologue, mort en 2007, sur un ton fort personnel. Titre en forme de pied de nez tendre à celui qui écrivit Oublier Foucauld et disait vouloir lui-même disparaître. Sociologue à l'origine, qu'était vraiment Baudrillard ? Un anthropologue de l'ultracontemporain, un penseur de la postmodernité, un prophète abscons ? Chez Baudrillard, pas de système. Des premiers livres de la fin des années 1960 et des années 1970, comme La société de consommation, aux derniers à l'aube du nouveau millénaire, le « philosophe destroy » (Globe) a certes pas mal évolué. La critique marxiste des débuts laisse place au regard du « pataphilosophe » désengagé (il est pataphysicien et situationniste dans sa jeunesse).
Le capitalisme a recyclé la révolution, et ceux qui pensent tenir la barricade tiennent en vérité le manche.« De la critique du communisme (soviétique et français) à celle de la gauche divine sociale-démocrate en 1981, [Baudrillard] en arrive à des positions de plus en plus fatalistes. Il n'y a plus d'engagement en quelque sens que ce soit, mais une dénonciation féroce du militantisme taxé de complicité implicite avec un système qu'il continue à analyser avec lucidité et acharnement. » A l'instar de nombre de lecteurs avisés de son sujet, Latouche voit deux Baudrillard - le gauchiste radical et le postmoderne subversif, qu'inaugure De la séduction (1979). Baudrillard est un dandy, au fond. Oui, mais « à la façon de Baudelaire qu'il aimait beaucoup et à propos de qui Benjamin disait que le spleen est le sentiment qui correspond le mieux à la catastrophe ».
Remember Baudrillard
Fayard
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 22 euros ; 304 p.
ISBN: 9782213701097