13 octobre > Récit France > Sylvain Tesson

Victime d’un terrible accident dû à son inconscience et son abus des boissons alcoolisées, qui a failli le laisser paralysé - auquel cas il aurait tenté de se suicider, dit-il - et dont il a tout de même conservé de graves séquelles (paralysie faciale, surdité d’une oreille, douleurs dorsales, crises d’épilepsie…), Sylvain Tesson a subi, au même moment, un autre choc traumatique, la mort de sa mère Marie-Claude. Sur son lit de douleur, lui, le coureur de mondes lointains (la Russie, surtout, sa seconde patrie) qui risquait de ne plus pouvoir continuer à mener cette vie errante qu’il aime si passionnément, s’était fait une promesse. S’il recouvrait sa mobilité, ses forces, il se lancerait dans une aventure personnelle, une quête de proximité : parcourir la France à pied, sur ce qu’il appelle "les chemins noirs", c’est-à-dire, autant que faire se peut encore, loin des routes goudronnées et de la pseudo-modernité, des blessures, souvent irréversibles, que l’homme inflige à sa terre natale et nourricière. "Disparaître de la géographie", "éviter le monde", guérir comme dans un "processus végétal" de réparation des tissus, tel était le projet, la quête, qu’il a menés à bien, du 24 août au 8 novembre 2015, traversant l’Hexagone en diagonale, du col de Tende, à la frontière italienne, jusqu’à Omonville-la-Rogue, dans le Cotentin, "finis terrarum".

Occasion idéale pour faire une sorte de bilan, raconter les idées qui lui passent par la tête, se payer les apprentis sorciers qui nous gouvernent avec leurs rapports sur "l’hyper-ruralité" (en français : la campagne), raconter, avec un humour souvent grinçant, forcément, ses malheurs : "la vie allait moins swinguer", dit-il, notamment parce qu’il est au régime sec jusqu’à la fin de ses jours ! Solitaire très entouré, quand il a le blues, Tesson a la chance que débarquent ses proches, pour faire un bout de chemin à ses côtés : l’écrivain Cédric Gras et le photographe Thomas Goisque, ses complices de Berezina (qui ressort simultanément chez Gallimard en album illustré), Arnaud Humann, un "Sibérien" lui aussi, qui aura le privilège de conduire son ami aux urgences de l’hôpital d’Aurillac, pour cause d’épilepsie, "le mal noir", ou encore sa petite sœur Daphné, peu amatrice de camping ou de frelons !

Chemin faisant, Tesson lit (Pessoa, Giono, Barbey d’Aurevilly, entre autres), médite sur la vie et la mort, qu’il a frôlée de si près, décrit cette France rurale telle qu’elle est largement devenue : un désert. Et dont quelques anciens, fatigués, lui racontent encore la splendeur avec nostalgie. Ce beau livre a été écrit "à la belle étoile", comme on dit. Laquelle est aussi "bonne", puisqu’elle a veillé sur ce casse-cou. On ne lui souhaite qu’une chose, maintenant : repartir. J.-C. P.

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