Sortie dans les années 1950 des usines Citroën du quai de Javel, l'ID, soeur jumelle de l'illustre DS "mythologisée" par Roland Barthes, est un des symboles de la France de l'après-guerre. Une voiture gaullienne, utilisée par le Général en personne (à qui elle a sauvé la vie lors de l'attentat du Petit-Clamart), son gouvernement et tous les Français un peu à l'aise, amateurs de confort séduits par ses lignes et ses performances novatrices. Ce pourquoi elle est devenue culte et compte toujours de nombreux fans nostalgiques, dont certainement Hubert Lauth, ancien publicitaire reconverti dans la télévision, qui signe avec Kilomètres conteurs son premier livre. Un roman atypique, drôle et tendre, rétro, dont l'héroïne n'est autre qu'une ID résidant dans le Tarn, terre huguenotte, mais qui va pas mal bourlinguer sur les routes de l'Hexagone, connaître quelques aventures et faire quelques belles rencontres. Elle saura nous les faire partager, car ce véhicule-là, à l'instar de la Coccinelle de Walt Disney, a une âme, des sentiments, et dispose d'une espèce de caméra embarquée : la plume de l'écrivain.

En ces fifties finissantes, donc, notre ID quitte volontiers son pays de Cocagne et du pastel, pour pérégriner sur les nationales et les départementales (en ce temps-là, guère encore d'autoroutes), longeant le canal du Midi, puis le Causse avec ses paras (ancêtre du Larzac), jusqu'à la mer, à Sète. Grande lectrice, Valéry est un de ses auteurs de chevron. Elle aime aussi Brassens et Soulages. Viennent ensuite la Camargue, Marseille, et retour par la 113. Mais il lui arrive aussi de "monter à Paris", vers la Normandie puis le pont de Tancarville, avant de redescendre via le Morvan, par Lyon, Arles et Avignon...

Chemin roulant, au gré des lieux traversés, l'ID songe à des personnages célèbres qui la fascinent et qu'elle aurait aimé, même anachroniquement, convoyer : Guillaume le Conquérant, Gérard Philipe ou le général de Gaulle, bien sûr. Mais son favori, son grand homme, c'est Jean Jaurès, natif de Castres (comme Hubert Lauth), député du Tarn assassiné à Paris en 1914, à la veille d'une boucherie absurde et monstrueuse qu'il condamnait de toutes ses forces. Celui-là, elle le voit partout, elle rêve qu'elle le prend en stop, ou bien qu'elle le ramène chez lui, à Castres, lui offrant même de prendre le volant...

Kilomètres conteurs, dont les scènes défilent comme autant d'instantanés, de vignettes d'époque qu'on trouvait dans les paquets de café ou les tablettes de chocolat, est un petit livre plein de charme, enlevé, qui ne recule jamais devant un bon jeu de mots. Une prouesse aussi, puisqu'il ne s'y passe pas grand-chose, que ça ne parle pas - et pour cause -, et qu'on ne s'y ennuie pas un seul instant. L'ID de Lauth a réussi son décollage, comme la DS de Fantômas.