Qu’il s’agisse d’un pseudonyme ou du patronyme de naissance, le choix d’un nom de plume peut également devenir un problème juridique. En témoigne une jurisprudence très récente.
La Cour de cassation a en effet jugé, le 10 avril 2013, qu’un justiciable « ne démontrait pas que le patronyme « X… » aurait acquis, auprès des consommateurs français ou des professionnels (…) une notoriété certaine attachée à sa personnalité ». Les magistrats ont également estimé qu’ « il résultait des extraits des « pages jaunes » obtenues à l’aide du moteur de recherche Google que ce nom était amplement porté, notamment dans le département des Hauts-de-Seine »… Aucun « risque de confusion » n’était donc susceptible de porter atteinte aux droits de la personnalité du demandeur.
Rappelons que la loi du 6 Fructidor an II interdit à tout citoyen de porter d’autres nom et prénom que ceux de son acte de naissance. Mais l’utilisation d’un pseudonyme dans le cadre d’une activité littéraire ou artistique est autorisée, sous réserve de ne pas attenter aux droits d’autrui.
Une fois établi, le pseudonyme confère à celui qui le porte un droit presque comparable à celui que tout un chacun possède sur son patronyme de naissance. Mais là encore, la réactivité face à la concurrence est essentielle.
À l’occasion de la sortie d’un roman sous le pseudonyme de Lec, la Cour d’appel de Paris, le 8 juillet 1949, a estimé qu’ « il est admis que lorsqu’un pseudonyme est répandu dans le public et attaché par un long usage à la personne qui en fait le choix, le tiers dont il constitue le nom patronymique ne peut enjoindre de le délaisser, alors surtout que ce nom patronymique a fait la renommée de celui qui l’a créé et qu’il n’a été, pendant de longues années, l’objet d’aucune revendication, ni d’aucune protestation». En l’occurrence, Le Lec qui poursuivait un Lec avait lui-même abandonné son propre nom. Les juges ont ainsi relevé que « si Le Lec, après avoir publié sous son nom trois plaquettes de vers de 1924 à 1928, a fait paraître un roman en 1927 et un autre en 1929. (…) par la suite, Le Lec a choisi le pseudonyme de Yann Le Cœur et s’est spécialisée dans le production de romans populaires ».
L'exemple Bernard Frank
L’affaire la plus éloquente a été tranchée le 7 décembre 1955 par le Tribunal de grande instance de Paris entre deux Bernard Frank : « Poulailler, homme de lettres, connu sous le pseudonyme de Bernard Frank a (…) fait assigner Bernard Frank, également homme de lettres, afin qu’il lui soit interdit sous astreinte d’utiliser son nom pour publier aucun ouvrage, aucun article ou pour prononcer aucune conférence publique ».
Les magistrats ont donc commencé par examiner le premier Bernard Frank : « Poulailler, qui avait servi comme officier dans la marine marchande puis, pendant les hostilités, dans la marine de guerre, s’est, à partir de 1920, consacré à la littérature sous le pseudonyme de Bernard Frank, composé avec son prénom usuel et avec le prénom d’un parent qui, comme lui, avait été marin ; (…) il a publié chez divers éditeurs et notamment chez Flammarion des ouvrages consistant pour la plupart en récits de voyage et d’aventures maritimes ; (…) il s’est livré également à une activité de conférencier ». « Au mois de mars 1953, les éditions de la Table ronde ont publié sous le nom de Bernard Frank un livre intitulé Géographie universelle. »
Ils ont ensuite procédé à une comparaison littéraire audacieuse : « Si les juges peuvent parfois être amenés à contraindre un individu à adjoindre à son nom, dans l’exercice de son activité littéraire ou artistique, une particularité propre à éviter tout préjudice a celui qui, antérieurement, a acquis sous ce nom, pris comme pseudonyme, une réelle notoriété, une telle mesure ne saurait se justifier en l’espèce. (…) Il convient en effet de relever qu’une différence d’âge de plus de 40 ans existe entre les deux écrivains ; (…) depuis le début de sa carrière, Poulailler s’est surtout consacré à un genre littéraire auquel sa vie antérieure et ses voyages l’avaient spécialement préparé. (…) dans ses livres comme dans ses conférences, il s’est principalement attaché à exalter les hauts faits de la marine et en particulier de la marine française. (…) Bernard Frank, au contraire, est entré dans la vie littéraire sous le patronage de Jean-Paul Sartre ; (…) ses livres sont des études de la vie contemporaine traitées dans un esprit tout autre que celui qui anime l’œuvre de son adversaire. (…) ils reflètent même des conceptions philosophiques, politiques et littéraires diamétralement opposées à celles qui sont à la base des ouvrages du demandeur. (…) ainsi, malgré l’identité du nom qui figure sur la couverture des livres des deux auteurs, les risques de confusion par le public sont certainement faibles ».
Près de soixante ans plus tard, la bataille du nom est en perpétuelle ébullition.
Enfin, les aléas de la vie de couple s’accommodent parfois assez mal du choix d’un nom de plume.
Le 10 février 1981, le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi interdit à une journaliste de continuer de publier des livres sur les « femmes d’ennemis publics », en utilisant le nom de son ex-mari. Les juges ont souligné que « de toute manière, Isabelle Dumas aurait-elle acquis, comme écrivain, le droit d’user du patronyme des consorts de Wangen, elle ne saurait pour autant outrepasser les limites qu’impose, à l’exercice des droits de la personnalité d’autrui. (…) il est indéniable que le nom des demandeurs s’est trouvé, par l’abus qu’en a fait la défenderesse, à diverses reprises mêlé à une évocation complaisante et tapageuse de la vie des criminels de droit commun ».