On sent l’aventurier chez Maxime Rovere. Dans les gestes qui s’ouvrent, dans les regards scrutateurs, dans la parole qui cherche moins à convaincre qu’à faire entendre. Pas étonnant qu’il soit dans cet appartement clair, à Rio de Janeiro où il enseigne la philosophie depuis deux ans. "Je n’ai pas choisi le Brésil, c’est le Brésil qui m’a choisi." L’université recherchait un Français spécialiste de Spinoza. Sur la liste, ils étaient peu nombreux et surtout peu bourlingueurs. Pas lui. Ce Niçois né à Monaco - "parce qu’il y avait de la place" - a suivi deux voies parallèles qu’il a fait se rejoindre contrairement aux principes de la géométrie classique. D’un côté l’Ecole du Louvre, de l’autre Normale sup. La jonction s’est faite dans les voyages, quelque part à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan, puis à l’ENS Lyon.
Lorsqu’il revient, ses professeurs lui conseillent de repartir. Ils lui font également découvrir Spinoza, un auteur qui voyage, qui se transmet plus qu’il ne s’enseigne. "Il n’y a pas de spinozisme sans passeur. C’est une pensée en mouvement." Maîtrisant l’anglais, l’italien, le latin et désormais le portugais, Maxime Rovere se fait aussi passeur grâce à Lidia Breda qui lui fait traduire, pour la "Petite bibliothèque" chez Rivages, Virginia Woolf, Edith Wharton, Agamben, mais aussi Peter Pan et Bambi ou Spinoza par ses amis (en librairie le 4 octobre).
"Vous parlez trop bas", lui disaient ses profs. Il en est resté quelque chose dans sa manière de faire de la métaphysique, dans cette façon de s’exprimer pour que tout le monde puisse lire, donc débattre. C’est bien le projet de Spinoza et de son clan, ceux que Maxime Rovere appelle "ses copains". "Une pensée se fait à plusieurs, être génial se fait à plusieurs, avoir une vie se fait à plusieurs."
Un peu pirate
Après sa thèse, l’édition de la Correspondance de Spinoza, il aurait pu écrire une biographie. "C’est quoi une biographie ? Le récit de la vie d’un homme ? Un récit c’est trop peu pour exprimer tous les événements d’une vie." Le roman apparaît alors comme une solution. Le clan Spinoza n’est pas pour autant un roman philosophique. "C’est un roman qui montre la philosophie à l’œuvre, à un moment donné." C’est aussi pour ce prof de philo un peu pirate l’occasion de remettre à plat la mythologie du Spinoza excommunié, tailleur de lentilles et difficile à lire.
Après cinq ans de colères, de doutes, de scrupules, d’hésitations et d’enthousiasmes, ce travail "historiquement vrai" a curieusement pour lui un petit goût amer. A la différence des écrivains qui cheminent dans l’exofiction, Maxime Rovere s’est interdit de faire dire autre chose à ses personnages que ce qu’ils pensaient vraiment. "Je ne comble pas les vides, je vitalise les sources." Il n’avait pas non plus la possibilité de changer la fin. "Tous les protagonistes meurent et le projet intellectuel de la raison moderne échoue." Lorsqu’il s’est lancé dans ce livre, il le savait. "Ma recherche sera un roman, et le roman ma recherche." Un vrai projet spinoziste pour une fameuse histoire.
Laurent Lemire
Le clan Spinoza. Amsterdam, 1677 : l’invention de la liberté, Maxime Rovere, Flammarion. Prix : 23,90 euros ; 560 p. Sortie : 27 septembre. ISBN : 978-2-08-133072-6