J’avais déjà parlé du livre de Karine Tuil dans Livres Hebdo , alors il me reste maintenant 552 livres à lire de la rentrée de janvier. Accompagnant la nouveauté «Le passage de la nuit », Belfond republie une nouvelle édition de « La ballade de l’impossible » de Murakami ; si à chaque nouveauté, on ajoute un classique revisité, alors on ne va pas s’en sortir. C’est un auteur que j’ai le sentiment d’aimer, sans trop savoir pourquoi, même si « Kakfa sur le rivage », son dernier livre, m’a ennuyé. Je crois que c’est la mollesse que j’aime chez lui. Fragile comme il est, il ne doit pas digérer les sushis. Le narrateur est toujours amoureux d’une fille qui disparaît, et il s’enfonce dans une nostalgie même pas fiévreuse (pas étonnant qu’il aime le jazz, et surtout Bill Evans, le blanc du jazz). Souvent, ces filles sont abîmées : elles boitent ou elles ont un secret. Parfois même, pour les livres les plus excitants : elles boitent et elles ont un secret. Apothéose : leur secret explique pourquoi elles boitent. Les livres de Murakami ressemblent à ces rêves insupportables où l’on court après un rien inaccessible. Son écriture est une drogue douce qui fait de plus en plus d’adeptes : je vois que son nouveau livre est déjà dans les meilleures ventes. J’attends qu’il en ressorte pour le lire (esprit de contradiction primaire). Et je lis donc ce roman que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre, sûrement parce que c’est celui qui l’a fait connaître : « La ballade de l’impossible ». Jusqu’ici, pour moi, la ballade de l’impossible consistait à trouver un café Internet à Toulon. Maintenant, elle m’évoquera cette histoire d’un homme à la recherche d’une fille aimée dans sa jeunesse, et disparue. Je me sens bien dans cette lecture : aimer une muette doit ressembler à cet état. Avant, j’ai lu le livre d’Anne Wiazemski qui raconte l’année de ses 17 ans. Celle où elle a tourné dans « Au hasard Balthazar » de Bresson. Jeune fille de bonne famille, douce et silencieuse : le rêve de tout écrivain qui rêve de se faire entretenir. Dans « Jeune fille » (Gallimard), on a l’impression d’un homme immense qui tente de maîtriser une sensualité balbutiante. Tentatives incessantes, presque violentes dans leur force quotidienne, harcelantes. Je me souviens d’une phrase dans « La possibilité d’une île » (mon roman préféré de Houellebecq, même s’il est de bon ton de dire que son meilleur livre est « Extension du domaine de la lutte » ) où est écrit à peu près (je n’ai pas retrouvé le passage) : « l’ambition des réalisateurs est de coucher avec les actrices ; certains films, si médiocres, ne paraissent pas avoir eu d’autres ambitions ». Quand on voit certains navets avec de belles femmes, on se pose vraiment la question. Plus les génies vieillissent, plus ils ont besoin de jeunes filles. C’est la fonction d’Anne, être la nouvelle muse du vampire-créateur. Ce roman permet aussi de se replonger dans cette période où le grand maître s’activait : la vision d’un artiste capable de ne pas dormir, torturé par l’hésitation cruciale de sa bande-son : Debussy ou pas Debussy ? Personne n’ose le déranger, c’est un Dieu dans son royaume, son pouvoir est immense, mais rien ne peut forcer une jeune fille à vous embrasser. Le génie a la limite de son âge. Forcément, Anne préfère un sous-fifre beau, même pas vraiment hétérosexuel. Ce livre est palpitant : on voudrait en savoir plus, continuer l’histoire, surtout quand l’auteur ouvre sur son futur, et évoque sa première rencontre fugitive avec Jean-Luc Godard. Livre au cœur du sensible, avec le sentiment troublant qu’il faut perdre quelque chose pour commencer à vivre. J’ai lu aussi le livre d’Arnaud Cathrine, « La Disparition de Richard Taylor » paru chez Verticales. C’est une remarquable succession de monologues féminins qui composent le portrait d’un homme disparu. On lit le roman comme un puzzle, dans lequel il faut recomposer l’effritement du trentenaire. Ce moment de l’homme où il ne peut être satisfait de sa vie, ce moment où il est confronté à toutes les variations. Ce livre est la ballade du possible. Ps : Ne voyez pas dans cette chronique autour du mot « possible » une tentative discrète de rendre hommage au nouveau slogan de Sarkozy : « tout devient possible ». Ps2 : Quelle idée d’écrire un « ps » sur l’ « ump ».